Pour les plaisirs du Roi
décontenancé, mais beaucoup captivé. Tellement que je l'invitai à souper un de ces soirs chez moi pour poursuivre cet instructif débat. Il en fut flatté et accepta avec empressement, car même les fanatiques doivent nourrir leur rage. Je n'oubliai pas de le prier de venir accompagné de sa charmante épouse. Ce n'était pas très franc, je le concède, mais l'hypocrisie est mère de tous les vices, c'est pour cela que je la pratique assidûment.
Les jours qui suivirent, la jeune femme occupa toutes mes pensées. Vous connaissez les mécanismes de l'esprit : je voulais distinguer la main de la Providence dans cette rencontre. Tout avait concouru à me guider vers elle. Il n'y avait plus de doute : Sarah Goudar était celle qui me serait un jour une alliée dans la couche du roi. Ce faisant, il restait un détail à régler : Ange Goudar. Je n'estimais pas ce dernier de taille à entraver la marche de ce qui devait être ; cependant, il me fallait trouver une stratégie pour l'écarter, ou faire qu'il s'éclipsât. Le souper devait m'en apprendre plus sur la conduite à tenir. Je sermonnai copieusement Simon pour qu'il s'assurât que mes ordres fussent suivis à la lettre. Je choisis le meilleur pour mes invités et ne regardai pas à la dépense afin de dresser une table royale : les vins étaient les plus fins que l'on puisse trouver à Londres, les viandes et les volailles furent achetées chez le fournisseur du roi d'Angleterre, les poissons idem , et les desserts – dont ce pays ne sait positivement rien – vinrent du pâtissier italien le mieux renommé. Bref, mon souper aurait séduit un prince, mais, surtout, je l'espérais, une future reine de cœur.
Les époux Goudar n'avaient cependant pas l'exactitude des rois. Ils arrivèrent plus d'une heure en retard à notre rendez-vous, ce qui gâta la sauce des volailles. Je ne me montrai pas impatient et je les accueillis avec une infinie douceur. Ange Goudar s'étonna que nous ne fussions que trois pour ce souper, mais je lui répondis que j'étais jaloux de sa conversation. La soirée débuta par un babillage poli, Sarah Goudar se tenant en retrait jusqu'à ce que je l'interpelle sur les vicissitudes du temps à Londres – en cet endroit, les conversations sur la pluie et le beau temps se cantonnent à la pluie. Elle me répondit qu'elle n'en souffrait pas, étant née dans une île bien plus arrosée encore : l'Irlande.
— Vos parents étaient en voyage sur cette terre lors de votre naissance ? demandai-je.
— Point du tout, ils habitaient à Dublin, répondit-elle.
— Je vois, ils s'y étaient installés.
— Certes non, ma famille vit là-bas depuis toujours, je suis irlandaise, dit-elle avec un franc sourire qui découvrit une rangée de perles.
Je restai interloqué. Pas un instant je n'avais soupçonné qu'elle ne fut pas française. Son timbre ne trahissait aucun accent. À mieux écouter, peut-être avait-elle une légère inclination à forcer la dernière syllabe, mais cela lui ajoutait du caractère. Ange Goudar s'amusa de ma surprise.
— Savez-vous où nous nous sommes rencontrés ? me demanda-t-il.
— Je ne voudrais pas être indiscret, répondis-je, bien que la réponse m'intéressât vivement – je suis un peu commère, je l'avoue.
— Il n'y a rien d'indiscret, je dirais même que cela est public puisque c'était dans une taverne de Londres.
— Pardon ?
— Vous avez bien entendu, dans une taverne. Sarah y servait des pintes à des gentlemen , comme l'on dit ici.
— Ah…
— N'en soyez pas embarrassé, monsieur, ni Sarah ni moi ne le sommes de vous en faire l'aveu, continua Ange Goudar.
— Je ne suis point gêné, seulement confus que le sort ait contraint une jeune femme de bonne famille à ce genre d'expédients, dis-je en me tournant vers elle.
— Merci de me prêter de respectables origines, monsieur le comte, toutefois je ne pense pas qu'un père mort dans l'ivrognerie et une mère seulement préoccupée de le remplacer chaque nuit soient un modèle de blason. Je passe sur mes frères et sœurs dont, à cette heure, une moitié doit croupir sur la paille d'une geôle, pendant que l'autre ne saurait tarder de les rejoindre, m'expliqua Sarah gracieusement, comme si elle m'eût donné des nouvelles d'une fratrie exemplaire.
Je ne m'étonne pas facilement, cependant je restai sincèrement ébahi.
— Mais alors, dis-je, pardonnez ma curiosité, mais d'où vous vient cette…
Ange Goudar me coupa :
—
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