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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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coûta que la peine de satisfaire aux exigences des trois recluses, dont le vénérable Sir John avait sûrement du mal à exaucer toutes les prières. Ce fut du moins ce qu'il me sembla.
    Peu de temps plus tard, je retournai chez lui, et il ne fit aucune allusion à ma soirée chez ses protégées. Nous passâmes un excellent moment. Avant de repartir, il me glissa distraitement un bref mot de remerciements pour avoir rassuré ses amies sur son état. On le voit, Sir John était devenu aussi flegmatique qu'un Anglais.
     
    Une fois par semaine, le lundi, un petit groupe de Français se donnait rendez-vous dans une académie de billard à côté de Hyde Park. Des gentilshommes s'y mêlaient à toute une société hétéroclite de marchands, d'artistes, d'aventuriers et même de quelques canailles, de ce qu'il m'apparut. C'était Nallut qui m'avait introduit dans cette étrange coterie. On y buvait beaucoup, certains fumaient de ces fameux cigares venus d'Amérique, mais on y jasait surtout des nouvelles de France. Parmi tout ce beau monde, un certain Ange Goudar tenait habituellement salon autour d'un billard, s'en servant comme d'une table où se répandaient les gazettes et des pintes à moitié vides. D'allure un peu négligée, il avait passé les cinquante ans, mais la nervosité de ses gestes trahissait une immense énergie mal dominée. En outre, les stigmates d'une ancienne vérole ajoutaient à son visage de cet air buriné qui annonce les caractères trempés. Je le remarquai dès ma première visite. Nallut m'apprit que Goudar promenait dans ce cénacle une réputation de brillant littérateur et de polémiste tranchant : il se piquait d'être en guerre contre tout ce qu'avait produit notre siècle. Une posture qui lui avait aliéné la majorité de ses relations, en particulier à Paris. Il réussit même à se fâcher avec les encyclopédistes qu'il trouvait trop serviles avec le régime.
    Souvent à court de soutien, il vivait d'expédients, comme celui des cartes, où Nallut me prévint qu'il excellait à tricher. Il avait appris cet art en Italie durant sa jeunesse. Son habileté ne lui épargna pourtant pas quelques tracas puisqu'il dut un temps se réfugier dans les États du pape pour échapper à la justice. Toujours selon Nallut, il était également possible que Goudar eût joué un peu l'espion au Portugal pendant quelques années. Arrivé à Londres deux ans avant la fin de la guerre – une autre preuve de ses talents –, il se montrait souvent en compagnie de Napolitains du plus mauvais genre, avec qui il partageait, disait-on, un petit commerce de filles galantes.
    Mon lecteur, dont je devine l'honnêteté, s'étonnera peut-être du hasard qui jeta si souvent sur ma route des souteneurs, lui qui n'en a jamais rencontré. Je n'ai rien à répondre à cette remarque, si ce n'est que ce genre de bonne fortune ne court que certaines rues dans lesquelles j'ai mes habitudes et lui pas. Mais retournons à l'étonnant Goudar dont le meilleur reste à venir, puisque je ne vous ai pas encore parlé de sa jeune épouse.
    Un soir, il vint avec elle à l'académie de billard – car il professait l'égalité entre les sexes. Ce fut pour moi comme une révélation : j'avais sous mes yeux la prétendante que j'avais tant cherchée. D'une blondeur qui ne s'admire que dans les tableaux, elle avait un visage à faire croire aux anges. Ses traits rassemblaient le plus parfait inventaire de la grâce faite femme, avec pour l'éclairer des yeux pareils à deux diamants bleus. Son corps, élégamment pris dans une simple robe, ne le cédait en rien à la perfection du reste. Enfin, une magnifique pâleur insulaire propre à masquer les plus obscures ambitions se mettait au service de cet enchantement. Avec cela, des manières de jeune princesse, sans affectation, mais qui suscitent immanquablement le respect de la compagnie. Que faisait-elle là et surtout avec lui ?
    Il ne me fallut pas longtemps pour trouver un prétexte afin de les aborder : étant récent dans cette assemblée, il était normal que je me présentasse à quelques-uns de ses membres. Évidemment, M. et Mme Goudar ne furent pas les derniers à qui je fis honneur. Goudar m'accueillit avec beaucoup de cordialité, Nallut ayant adroitement joué les entremetteurs en lui confiant mes démêlés avec M. de Choiseul. Goudar avait très souvent écharpé ce dernier dans ses écrits car il vomissait l'hypocrisie des grands seigneurs qui se vantaient

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