Pour les plaisirs du Roi
français, mais le comprenait en revanche excellemment. Elle me démêla souvent les petits tracas que l'on éprouve sur une terre étrangère. Bientôt, je pris donc le parti de la laisser gouverner mon intérieur, conservant évidemment la jouissance de sa personne. Allez savoir pourquoi, cette brute de Simon en conçut de la jalousie. Il se crut tombé en défaveur. Le pauvre garçon s'inquiéta même pour sa place, tant et si bien que ce fourbe s'ingénia à contrarier Elie dans toutes ses initiatives. Je pense d'ailleurs qu'il monta les autres domestiques contre elle. Elie, qui était pourtant d'un caractère paisible, se résolut à s'en plaindre à moi un matin. Je convoquai Simon pour tirer cela au clair. Ce balourd me chanta une fable qui n'endormirait pas un petit enfant et je lui donnai un échantillon de ma mauvaise humeur en lui brisant une très belle canne sur les reins. Cela le laissa au lit deux jours durant, mais il s'en trouva calmé, du moins pour ce qui m'importait.
Mis à part ces petits soucis, le mois d'août débuta sur quelques journées ensoleillées, ce qui me permit de me rendre dans la propriété de campagne de lord Ligonier, à Cobham Park dans le Surrey. L'endroit était charmant. M. de Ligonier s'y reposait durant l'été, conviant souvent des amis à venir le rejoindre pour passer une semaine ou deux. Ses trois pupilles faisaient également toujours le voyage, avant de prendre docilement leurs quartiers dans une aile du château. Toutefois, le vieux lord savait que le temps passe parfois lentement à la campagne et il lui arrivait de demander aux plus discrets de ses invités d'aller tenir compagnie à ces dames. Je fus souvent de ceux-là.
À Cobham Park, on croisait toutes sortes de personnages. Car il faut bien dire que sur la fin de sa vie, M. de Ligonier fut un homme à lubies. L'âge n'y était d'ailleurs pas pour peu. Il plaçait parfois mal sa confiance – voyez, je suis lucide –, s'entichant d'individus louches dont le seul mérite était de le distraire. Il faisait en particulier très grand cas d'un étrange ecclésiastique qu'il m'arrivait de voir chez les pupilles de notre hôte, où il s'employait lui aussi à les désennuyer. Ceci nous procura une certaine complicité et il me fit un peu le récit de sa vie. Par la suite, l'utile Nallut, qui le connaissait bien, me compléta le portrait de cet extravagant. À peine âgé de quarante ans, l'abbé de Joncaire était le fils cadet d'un gentilhomme aventurier qui avait gagné la confiance des Indiens du Canada en adoptant leurs coutumes afin de se faire une puissante place dans le nouveau monde. Élevé lui aussi parmi les farouches Iroquois, l'abbé conservait de sa jeunesse sauvage la faculté de jauger son prochain d'un seul coup d'œil. Avare de mots, il vous scrutait d'un regard profond, semblant percer tous vos ressorts intimes, en particulier ceux que l'on ignorait soi-même. Cette disposition lui valait la défiance de quelques-uns autant que la fascination de nombreuses admiratrices, car il était également fort bien fait de sa personne. On prétendait qu'il avait envoûté d'honnêtes femmes dont il retirait certains avantages sans s'être donné la peine de faire sa cour. Cette réputation d'ensorceleur piquait évidemment les curiosités et augmentait ses bonnes fortunes. Avant de quitter la France un peu précipitamment, il avait notamment pris dans ses filets une Mlle Tiercelin, pensionnaire assidue du Parc-aux-Cerfs.
Louise Tiercelin n'était d'ailleurs pas rien. La rumeur disait que le roi s'en était entiché alors qu'elle n'avait que neuf ans et qu'il se fit céder des droits sur elle auprès de son père pour seulement cinquante louis. Je ne peux affirmer que cela soit vrai, mais ce que j'ai connu du roi ne m'interdit pas de prêter foi à ce ragot. Elle grandit sous l'œil du souverain, jusqu'à ce que l'enfant devenue femme s'assurât une place de choix dans le sérail de son maître. Toutefois, Louise avait un père qui n'oubliait jamais de faire valoir sa paternité lorsqu'il se trouvait dans la gêne. Un commis de Versailles le réglait une fois le mois pour ses menues dépenses, lesquelles se trouvaient essentiellement représentées par des dettes de jeu. Mais un jour, la somme perdue fut tellement rondelette qu'il n'osa pas en réclamer l'équivalent au fonctionnaire du roi. Le problème s'augmenta de l'exigence du vainqueur de se voir payer incessamment. Ce créancier pressant n'était
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