Pour vos cadeaux
blanche et chapeautée d’une couche
tremblotante de gelée d’or, qu’elle nous présentait sur une feuille de papier
illustrée d’un petit cochon souriant. Ce sera tout ? Oui, ce qui n’était,
à mes yeux, jamais assez cher payé pour ce « Petit Jean » qu’ils
m’offraient. Car, confirmant mon soupçon, j’avais noté aussi, au temps de la
télévision chez l’oncle Emile, que chaque fois qu’un jeune homme sérieux, un
brin prétentieux et au total plutôt niais, apparaissait dans une pièce de
théâtre filmée, on l’affublait de mon prénom dans sa version la plus sèche, en
quoi je me reconnaissais sans peine, et l’on devine avec quelle, oui,
tristesse, comme si je ne pouvais échapper à la fatalité et au déterminisme de
mon saint patron. Alors maman s’excusant presque quand « Jeannot »
lui échappait, se reprenant, elle voulait dire Jean. De qui parles-tu, maman,
de quel supposé glorieux ? ce n’est que moi.
Comme si elle se préparait à perdre son second fils. Du
premier nous ne connaissions que cette date unique gravée sur une plaque de
marbre blanc fixée sur le devant de la dalle de granit de la sépulture
familiale. Ce qui, faites le tour des cimetières, n’est pas courant.
D’ordinaire, une vie s’inscrit entre deux nombres qui délimitent le parcours
terrestre, l’entrée et la sortie, à charge pour celui-là, l’évoqué
mathématique, de résoudre cette équation pleine d’inconnu que pose
l’entre-deux. Devant la tombe d’un anonyme, ces deux dates, on les épluche
comme un relevé de compte que, faute d’autres renseignements, l’on remplit
d’amour, de souffrances, de conversations, de corps étreints, de chansons
envolées. Mais là, Pierre, 1947. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Une histoire à pleurer, notre père y voyant la reprise de
ses malheurs, comme si la rencontre et le mariage avec son petit Loup
chéri – ainsi commence-t-il ses lettres – n’avaient été
qu’une parenthèse heureuse dans la suite de ses drames, une erreur, au fond,
d’un mauvais destin étourdi qui soudain se relâche, mais que cet enfant mort
renvoyait à la norme, à la kyrielle de ses défunts, frères et sœurs emportés à
leur naissance ou avant terme et, coup sur coup, dans les deux premières années
de la seconde guerre mondiale, sa mère et son père, alors qu’il n’avait que
dix-neuf ans et se retrouvait seul au monde avec pour toute compagnie une
petite tante bigote. Mais ce quatre juillet mil neuf cent quarante-six, au bras
de son petit Loup en robe blanche vaporeuse, il repart pour une nouvelle
histoire. Les auspices ont cette fois fière allure, le cortège qui pousse les
mariés à la sortie de l’église de Riaillé semble animé d’une certitude
joyeuse – voyez les sourires sur chaque visage, ceux-là ne se sont
pas déplacés pour faire de la figuration, ils forment deux par deux en rangs
serrés un rempart hilare contre le mauvais sort. La suite se présente donc au
mieux, et d’ailleurs, pour ne pas forcer le destin, cet enfant, qui quelques
mois plus tard s’annonce, viendra au monde dans une maternité au lieu que la
coutume, en ces temps héroïques et ces pays reculés, exige encore qu’il naisse
à demeure. Mais pas de ces pratiques obscurantistes avec l’enfant-bonheur. Pour
lui les lumières de la ville, ce qui se fait de mieux, la pointe de la
prophylaxie et du progrès. En quoi Nantes la civilisée offre toutes les garanties,
même si la distance n’est pas commode. Quarante kilomètres d’une route étroite
au bitume rapiécé, que l’on parcourt lentement au volant d’une voiture dont la
conduite acrobatique exige des bras de leveur de fonte pour manier le levier de
vitesse à hauteur du tableau de bord. Peu probable donc qu’on ait attendu les
premières douleurs avant de se mettre en route. Le risque eût été trop grand
que les trépidations du véhicule et la durée du trajet n’offrent à la jeune
accouchée que le secours de la banquette arrière pour accueillir le nouveau-né.
Faisons donc confiance au grand Joseph et à son esprit d’initiative. On peut
penser que, l’heure venue, sa jeune épouse était sur place, confortablement
installée, veillée par une escouade d’anges gardiens, le grand obstétricien
passant de son air de bon Dieu sans confession surveiller l’avancée des
travaux, palpant la peau du ventre tendue à craquer et constatant d’une voix
paternelle que tout
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