Pour vos cadeaux
s’annonce à merveille, aucune inquiétude à avoir, tout se
passera bien. Du coup on se félicite de ce choix de la maternité, avec une
pensée condescendante pour celles-là, les pauvres, qui accouchent encore entre
une bassine d’eau chaude et les bras aux manches retroussées d’une sage-femme
autoritaire, intimant de pousser plus fort afin d’éjecter le petit bouchon
sanguinolent qui obstrue la sortie. Il est vrai que cet extra n’est pas donné,
mais le futur père ne regarde pas à la dépense, dès lors qu’il s’agit du
confort et du bien-être de son petit Loup chéri.
D’autant qu’il n’est pas dit qu’il ne souffre pas
secrètement de l’avoir fait un peu déchoir de son rang, le petit Loup, en
l’entraînant sur ses terres campbonnaises. La maison du grossiste en vaisselle
et articles de ménage n’a pas le standing de celle du tailleur. Les deux escaliers,
par exemple, ne se comparent pas : l’un en bois roux, décrivant une large
spirale et débouchant sur un palier clair donnant accès à six ou sept chambres
au bout de deux couloirs labyrinthiques, l’autre s’élevant selon un plan
incliné rectiligne et s’achevant par un coude abrupt qui à la descente se
révèle délicat à négocier pour peu que vous ayez les bras encombrés, à partir
de là d’ailleurs il nous arrivait d’opter pour une glissade, marche par marche,
sur le dos, jusqu’en bas. Et ainsi de suite, point par point, dimension,
confort, esthétique, charme, agrément, le bénéfice de cette mise en parallèle
revient à la maison du tailleur – y compris les jardins (notre pauvre
jardin tout en longueur et qui, en dépit de quelques aménagements floraux, a du
mal à camoufler son appartenance à la classe laborieuse, entrepôt, hangars,
cartons, caisses, brouette, atelier de bricolage, et, bien que nous n’ayons
jamais eu la vocation potagère, un carré de fraises et quelques plants
d’oseille, pour les sauces, le poirier devant la petite maison de la tante
Marie n’ayant jamais donné un fruit consommable, sinon pour les guêpes). Alors
quel avantage en faveur de la maison de Campbon ? La proximité de la
mer ? Pas pour une fille Brégeau qui, bien avant l’été trente-six, passait
déjà toutes ses vacances à Préfailles, une petite cité balnéaire au sud de
l’estuaire, où un oncle de la famille, côté maternel, possédait un hôtel,
agrémenté d’une sorte de casino, ce qui nous vaut toutes ces photos d’enfants
souriants sur la plage, dont celle où notre maman, âgée de huit ou neuf ans,
frange et coupe au carré à la Louise Brooks, coiffée d’un chapeau de paille
fine posé en arrière de la tête, et vêtue d’une robe a taille haute s’arrêtant
au-dessus du genou, paraît si heureuse en compagnie de son cousin Freddy, le
malicieux, lequel, au-dessus d’elle, grimpé sur les marches d’une sorte
d’escabeau massif, une ceinture retenant son short informe, fait le clown
devant le photographe, étirant le cou hors de son chandail à col en V porté à
même la peau, et levant les yeux au ciel. Et ce moment ne pouvait pas être
unique. La joie a commencé bien avant, juste lui a-t-on demandé un instant de
suspendre son envol, et le sourire qui le dit sur ces figures d’enfance n’est
pas prêt de s’effacer.
Or il faut savoir que nous avons vécu avec l’idée que notre
maman détestait les bains de mer, sous prétexte qu’elle n’avait, au contraire
de ses frère et sœurs, jamais appris à nager, et nous non plus par la même
occasion, puisque, par son intransigeance et cette capacité à bouder
silencieusement quand les choses n’allaient pas selon ses vœux, elle avait
réussi à convaincre sa nouvelle famille de renoncer à fréquenter Saint-Marc,
Sainte-Marguerite, Pornichet, La Baule, nos plages royales, qui n’avaient peut-être
que le tort de prolonger la lèvre supérieure nord de l’estuaire. Car la Loire,
il n’y a pas si longtemps, ne se franchissait que très loin en amont, sur les
ponts de Nantes, l’estuaire formant une ligne de démarcation aussi nette
qu’entre les îles de l’archipel des Galapagos, contraignant des espèces
communes, séparées par un bras de mer, à évoluer différemment. Autant dire,
entre le nord et le sud du fleuve – bien qu’à vol d’oiseau,
c’est-à-dire de mouette et de goéland, la distance se franchisse d’un coup
d’aile –, deux mondes. Mais ce veto maternel ne devait pas faire l’affaire
de
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