Prophétie

chou. »
    Je pensai demander à l’hôtesse de nous laisser mais devinai que de toute façon elle lui tirerait les vers du nez après notre départ. « Vous avez travaillé sous les ordres de Goddard dans l’infirmerie laïque, me semble-t-il, lui dis-je. Vous l’aidiez à soigner les malades qui venaient du bourg. »
    Mame Bunce plissa les paupières. « Vous en connaissez un bout sur Francis, dites donc !
    — Nous interrogeons les anciens moines qui ont travaillé avec Goddard. Nous avons parlé avec le jeune Cantrell, ainsi qu’avec le doyen.
    — Qu’est-ce qu’ils vous ont dit ? demanda-t-il, l’air soudain inquiet.
    — Leurs réponses sont confidentielles. »
    Il rit nerveusement. « Le jeune Charlie, hein ? Il a pas eu la vie rose avec Goddard.
    — Sauriez-vous où se trouve le Dr Goddard en ce moment ? »
    Il secoua la tête. « Je ne l’ai pas vu depuis le jour où on a tous quitté l’abbaye. Je n’en ai d’ailleurs pas eu la moindre envie.
    — Vous ne pouvez pas vous rappeler où il est allé ?
    — Il ne nous a même pas dit au revoir. Il m’a juste ordonné de vider les derniers malades et de remettre sans faute la clef à l’intendant. Est-ce que je peux savoir pourquoi vous le recherchez ? demanda-t-il après une brève hésitation.
    — Nous enquêtons sur un décès.
    — De qui ? » Il parut se crisper des pieds à la tête.
    « Je n’ai pas le droit de le révéler. Mais dites-moi… Savez-vous si le Dr Goddard utilisait une substance appelée papaver ? » Il serra le poing qu’il avait posé sur la table.
    « Je savais que le Dr Goddard utilisait une substance pour endormir les patients qu’il devait opérer dans l’infirmerie des moines. Mais il ne l’aurait pas gaspillée pour endormir les patients de l’infirmerie laïque. » Il haussa les épaules. « Il ne s’intéressait guère à ce qui s’y passait. Quand il y venait, il jetait un œil aux malades, leur donnait un vague conseil, prescrivait des herbes médicinales, réduisait quelque fracture osseuse… Mais dans l’ensemble il me laissait m’en occuper. » Ayant désormais repris la maîtrise de lui-même, il me fit son récit en me regardant droit dans les yeux.
    Je hochai lentement la tête. « Que pouvez-vous encore me dire du Dr Goddard ?
    — Il ne se prenait pas pour de la petite bière. Même si je suppose que c’est le cas de tous les médecins. Il pouvait être impoli, voire grossier. Et il avait un énorme grain de beauté sur un côté du nez, ajouta-t-il en se penchant vers moi avec un sourire de connivence. Le plus gros que j’aie jamais vu. Quand on le fixait, il devenait tout rouge et tentait de le cacher avec sa main. C’était une bonne manière de l’énerver, si on osait, mais après il était de fort méchante humeur. » Il regarda Barak et lui fit un sourire crispé. Je savais qu’il me cachait quelque chose, mais je n’avais aucune preuve à lui opposer.
    « Quelle était votre formation ? s’enquit Barak.
    — Avant d’aller à Westminster j’étais apprenti auprès d’un barbier-chirurgien. Je suis resté dix ans à l’abbaye et ensuite j’ai travaillé à nouveau pour un barbier-chirurgien.
    — Je vois, dis-je. Le jeune Cantrell n’aimait pas Goddard, lui non plus. » Je me rappelai l’air anxieux de Lockley quand je lui avais dit que nous avions parlé avec Cantrell et le doyen Benson. Il s’était cependant un peu rasséréné à présent.
    « Oui, répondit-il. Goddard a été très dur avec ce jeune gars. Il avait une langue acérée. Mais Charlie Cantrell a toujours été un minus.
    — Hier, j’ai vu l’infirmerie. Elle est vide, évidemment. Ç’a m’a paru un endroit sinistre.
    — En effet. La situation a constamment empiré pendant tout le temps où j’y ai travaillé. L’abbé Benson voulait que l’abbaye périclite et qu’on la ferme. Cromwell lui avait bien graissé la patte… La vieille église papiste était pourrie jusqu’à la moelle ! s’écria-t-il d’un ton soudain farouche.
    — Vous n’êtes donc pas l’un de ceux qui s’accrochent à l’ancienne foi, hein ?
    — Oh non ! fit-il, l’air renfrogné. Mais le barbier-chirurgien pour lequel j’ai travaillé était l’un de ces évangélistes exaltés. Ils sont encore pires… Bouffis d’orgueil parce qu’ils croient qu’ils détiennent les clefs de l’enfer et de la mort.
    — Voilà pourquoi tu es venu ici. Auprès de moi. Pour