Prophétie
fois depuis la mort de Roger, Dorothy avait mis ses plus beaux vêtements. À son côté se trouvait un svelte et beau jeune homme de dix-huit ans en pourpoint noir, dont la ressemblance avec Roger était si frappante que j’en eu presque le souffle coupé. On aurait dit que son père était ressuscité.
« Samuel, dit Dorothy, tu ne peux pas te rappeler messire Shardlake, car tu n’étais encore qu’un enfant quand nous sommes partis habiter à Bristol. »
Il inclina le buste. « Je me souviens de vous, monsieur. Vous m’aviez apporté une toupie pour mon anniversaire. Elle avait de brillantes couleurs. Pour moi, c’était une vraie merveille. » S’il avait la voix de Roger, claire et un rien pointue, il aplatissait les voyelles à la manière des gens des régions de l’Ouest.
« En effet, dis-je en riant. Je m’en souviens maintenant. Tu avais cinq ans. Quelle excellente mémoire !
— Je me rappelle les gentillesses… Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour ma mère, ajouta-t-il en posant une main sur celle de Dorothy.
— Elle a été très courageuse.
— Tu ne trouves pas que Samuel est la vivante image de son père ? dit-elle, les yeux mouillés de larmes.
— C’est tout à fait vrai.
— Cela me console. Roger survit dans mon fils. Mais tu tiens ton bras bizarrement… Tu t’es blessé ? »
Quel esprit d’observation ! « Un accident stupide. Rien de grave. Samuel, vous allez rester longtemps à Londres ? »
Il secoua la tête. « Il faut que je rentre à Bristol la semaine prochaine, car je dois assister à une foire aux tissus. J’espère que lorsque tout sera… réglé… ma mère pourra venir m’y rejoindre.
— Oh ! » N’ayant pas imaginé qu’elle s’en irait si tôt, la nouvelle me déconcerta.
« On aura le temps d’y repenser, dit Dorothy. J’ai des dispositions à prendre et je ne peux pas laisser Matthew se charger de tout. Même s’il s’occupe beaucoup de moi et s’il a été mon appui et mon soutien, affirma-t-elle en me souriant avec chaleur.
— Je fais ce que je peux, répondis-je, gêné.
— Mon fils est fiancé, Matthew. Que dis-tu de ça ? À la fille d’un marchand de Bristol. »
Samuel rougit.
« Félicitations !
— Merci, monsieur. Nous espérons nous marier l’année prochaine. »
On frappa à la porte. Margaret entra. « Le cercueil est arrivé », annonça-t-elle à voix basse.
Dorothy tressaillit, soudain complètement bouleversée à nouveau. « Je vais le recevoir, déclara-t-elle.
— Laisse-moi m’en charger, dit Samuel.
— Non, non ! Laisse-moi y aller seule. » Elle lui serra le bras, puis quitta la pièce, nous laissant Samuel et moi. Durant quelques instants il y eut un silence embarrassé, interrompu seulement par le tic-tac de la pendule. Je jetai un coup d’œil à la frise de bois, mon regard s’attardant sur le coin mal réparé, puis souris au jeune homme.
« Y a-t-il d’autres nouvelles, monsieur ? de l’enquête ? » demanda-t-il d’une voix hésitante. Ce devait être difficile pour lui d’être tout à coup obligé de se comporter en adulte après la tragédie. « Cela mine ma mère de ne pas savoir pourquoi mon père a été tué de cette horrible manière. S’il avait été attaqué par des voleurs, ç’aurait déjà été très triste, mais cette atroce… mise en scène », poursuivit-il en fixant sur moi un regard angoissé.
Elle a tenu sa promesse de ne parler à personne des autres meurtres, pensai-je. Même pas à son fils. « Par mesure de précaution je ne peux guère en parler, Samuel, mais si ça peut te réconforter nous ne pensons pas que ton père ait été tué par quelqu’un qui lui en voulait personnellement. Je pense qu’il a attiré l’attention, disons… d’un fou. Ça, tu peux le dire à ta mère.
— Mais pourquoi est-ce à ce point confidentiel ? s’exclama-t-il. Tout ce secret tracasse ma mère, même si elle n’en parle pas.
— Il s’agit d’une affaire politique. Quelqu’un d’autre a été assassiné de la même façon que ton père. La victime était un homme assez important. Mais sa position sociale n’a rien à voir avec le mobile du crime. C’est simplement que ce fou l’avait choisi lui aussi.
— Un fou ? répéta Samuel en se renfrognant. En effet, quiconque tue un homme aussi bon que mon père ne peut être que fou.
— Roger était un homme de bien et un excellent ami. Mais
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