Prophétie

fenêtres brisées par du verre blanc… Voilà comment Dieu aime ses lieux de prière, poursuivit-il avec un radieux sourire, et non pas bourré d’or et empestant l’encens. Je souhaiterais faire abattre le jubé, mais cela risquerait de nous causer des ennuis. J’aimerais vous montrer l’intérieur, mais c’est le révérend Yarington qui détient la clef et il n’est pas encore arrivé.
    — Je vois », répondis-je, tout en pensant aux familles tuées pendant l’effondrement du clocher.
    Il me fit un clin d’œil. « Et si les hommes de Bonner déclarent que cela ressemble trop à une église luthérienne, nous pourrons toujours arguer que nous n’avons pas réussi à recueillir assez de fonds pour refaire la décoration. Les serviteurs du Seigneur doivent être rusés comme des serpents, affirme la Bible. »
    Je regardai les fidèles qui se trouvaient dans le cimetière, devinant que Sainte-Agathe était une église de réformateurs depuis un certain temps. Ils ressemblaient à ceux qui fréquentaient l’église de Meaphon, celle des Kite : marchands, membres de corporations, ainsi que quelques ouvriers appuyés contre le mur, l’air mal à l’aise. J’aperçus plusieurs clercs, dont Meaphon en personne, en train de discuter avec un marchand. Quand il me vit, il hocha la tête d’un air maussade avant de détourner le regard, sans doute gêné de s’être esquivé la veille à l’arrivée de l’évêque Bonner. La ruse du serpent sauverait-elle ces gens lorsque Bonner déciderait de passer à l’attaque ? Je réprimai unfrémissement au souvenir de son corps trapu et puissant me faisant face sous le mur de Londres.
    Sir Thomas Seymour, lord Hertford et Harsnet se trouvaient près de la broche. Harsnet était en pleine discussion avec lord Hertford, tandis que sir Thomas promenait sur les présents un regard plein d’ennui. Il sembla surpris de nous voir et donna un coup de coude à son frère. « Voilà le bossu, annonça-t-il, sans prendre la peine de baisser la voix.
    — Messire Shardlake, dit lord Hertford en hochant la tête à notre adresse, comme nous approchions. Et Jack Barak, je suppose ?
    — Oui, monseigneur, répondit Barak en inclinant le buste.
    — Mon malheureux ami Thomas Cromwell chantait vos louanges », dit-il d’un ton mélancolique. Les deux frères étaient élégamment vêtus, lord Hertford portant un pourpoint écarlate sous un manteau sombre et une chaîne en or accrochée au cou, tandis que, coiffé d’un bonnet noir piqué d’une broche de jade brillant, sir Thomas arborait un justaucorps jaune, doté de manches à crevés laissant voir une doublure verte.
    « Des nouvelles, Shardlake ? » s’enquit Harsnet.
    Je lui parlai de mes entretiens avec Cantrell et Lockley, lui indiquant que j’avais le sentiment que ce dernier cachait quelque chose. Il hocha la tête.
    « Nous irons l’interroger à nouveau. Ainsi que le doyen Benson… On dirait bien que Goddard est notre homme, poursuivit-il.
    — Il est trop tôt pour le dire, je pense.
    — C’est possible. Je n’ai pas encore réussi à retrouver la moindre trace de la famille de Goddard. Je fais faire des enquêtes dans les corporations et parmi les propriétaires terriens aux abords de la ville.
    — Mais il a été moine durant des années, intervint sir Thomas. Si sa famille vient des environs de Londres, on devrait facilement lui mettre la main dessus.
    — Sa famille a pu venir d’une autre région pendant qu’il était moine, suggéra lord Hertford. Nombre de familles riches sont attirées par Londres, surtout si l’un de leurs parents y réside déjà, afin d’accroître encore leur fortune… Ou de la perdre. Comment va votre bras, sergent Shardlake ? Le coroner Harsnet m’a dit que vous aviez été agressé… Ainsi que votre épouse, ajouta-t-il en se tournant vers Barak.
    — En effet, monseigneur. Elle s’en est tirée avec quelques contusions et plusieurs dents cassées. »
    Sir Thomas donna une claque sur l’épaule de Barak. « Je ne me serais jamais douté que vous étiez marié. Je vous prenais pour un jeune fêtard.
    — Plus maintenant, sir Thomas.
    — Cette histoire n’aurait pu survenir à un pire moment, reprit lordHertford. On est toujours en train d’interroger les bouchers qui auraient violé le carême. Mais ces hommes courageux refusent de donner des noms à l’évêque.
    — Je pense qu’on a affaire à un possédé, affirma