Prophétie
Harsnet.
— Qui que ce soit, dit Hertford, nous devons le surveiller. »
Un serviteur vint nous offrir des assiettes de sanglier rôti. Je jetai un coup d’œil à la cuisson. La bête était entièrement cuite et les serveurs, s’essuyant le front, s’éloignaient du feu qui flambait toujours allégrement, lançant des étincelles d’un jaune lumineux, tandis que la graisse grésillait. Le crépuscule tombait rapidement. Au sud, derrière les maisons, sous les rayons du soleil couchant, la Tamise brillait d’un blanc éclatant.
« Je sens une odeur de poisson pourri, déclara Barak.
— Moi aussi. Ça doit venir du fleuve. » Et, en effet, l’odeur de viande rôtie se mêlait à présent à de désagréables relents de poisson.
— Mais où est donc le révérend Yarington ? demanda quelqu’un. Il aurait dû être déjà là. »
Sir Thomas saisit mon bras endolori, me faisant grimacer. « Selon Harsnet, l’un des anciens moines que vous avez été voir habite à Charterhouse Square.
— Oui. Lockley, le frère convers. Dans une taverne.
— Je connais les maisons et les tavernes qui ont été construites sur les côtés de l’ancienne enceinte. La plus grande bâtisse appartient à lady Catherine Parr. Je lui ai rendu visite dans cette demeure.
— Tout doux, Thomas, lui dit son frère. Il est dorénavant absolument certain qu’il n’y a aucun rapport entre elle et les meurtres.
— Je refuse qu’elle soit exposée au moindre danger ! » s’écria-t-il, l’air inquiet. Est-ce parce que tu aimes la dame, pensai-je, ou parce que c’est une riche veuve qui peut encore décliner l’offre du roi ?
« Y a-t-il des nouvelles du projet de mariage ? » demandai-je à lord Hertford à voix basse. Après tout, c’était la raison pour laquelle ces gens s’étaient impliqués dans cette affaire.
Il piqua un morceau de sanglier qu’il porta à sa bouche. « La dame refuse toujours de donner une réponse au roi, répondit-il, après avoir jeté un coup d’œil à son frère. Elle affirme avoir encore besoin de temps pour réfléchir.
— Oh, c’est la tactique qu’avaient utilisée Anne Boleyn et Jane Seymour, s’exclama Harsnet. Le faire patienter… Ça renforce la détermination du roi à obtenir ce qu’il désire.
— Non ! » s’écria sir Thomas. Un éclat de dents blanches contrasta avec le noir de sa barbe. « Lady Catherine refuse parce qu’elle ne veut pas l’épouser. Qui en aurait envie ?
— Parle plus bas ! lança Hertford d’un ton sec. Thomas, j’espèreque tu n’es pas allé à nouveau rendre visite à la dame. Si le roi apprenait…
— Non ! répliqua Thomas.
— J’aimerais m’en aller, chuchotai-je à Harsnet. Mon bras m’élance. J’ai besoin de me reposer.
— Bien sûr. Je vais rester. C’est étrange que le révérend Yarington ne soit pas encore arrivé. Je suis désolé que vous ayez été blessé.
— Ça va mieux.
— Très bien, fit-il en souriant. Il nous tarde, à ma femme et à moi, de vous recevoir à dîner demain soir. Et vous verrez mes enfants.
— Merci, monsieur. Combien d’enfants avez-vous ?
— Quatre. Tous en bonne santé et obéissants. Et j’ai une excellente épouse. Vous devriez vous marier, monsieur.
— Je crains que ce ne soit pas mon destin.
— Vous vivez donc seul ? »
Je pensai à Dorothy et souris tristement. « J’ai des espoirs.
— Faites votre demande, confrère Shardlake ! Nouez le lien sacré du mariage… Comme notre jeune Barak.
— “Lien” est bien le mot juste, souffla Barak.
— Bonsoir, monsieur. » Je serrai la main de Harsnet et, suivi de Barak, commençai à m’éloigner. « Voilà une remarque fort discourtoise, lui dis-je en le regardant de travers. Un lien, vraiment… »
Mes propos furent brusquement interrompus par un hurlement de femme. « L’église ! L’église est en feu ! »
Tout le monde s’arrêta de manger et de parler. À travers le vitrail restant, on apercevait une lumière vacillante qui projetait des ombres étranges dans le cimetière sombre.
Le révérend Meaphon fut le premier à avancer et à saisir la poignée du portail de l’église. « C’est fermé ! cria-t-il. Qui a la clef ?
— C’est le révérend Yarington ! » Tout le monde regarda à l’entour, mais il n’y avait toujours aucun signe du pasteur chenu.
« Il faut aller au presbytère ! hurla quelqu’un.
— Il ne laisse personne
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