Prophétie

devait lui rappeler sa propre enfance de gamin des rues.
    « J’ai une place pour toi, annonçai-je à l’enfant. Chez moi. Tu aideras à la cuisine et à l’écurie. Ça te dit ?
    — Merci, m’sieu ! s’écria-t-il, l’air radieux. Je… Je ferai de mon mieux. »
    Je pris une profonde inspiration. « Il y a un préalable, cependant.
    — Un quoi, m’sieu ?
    — Tu dois me dire quelque chose. Hier, tu m’as affirmé que tu n’avais parlé d’Abigail à personne.
    — C’est vrai, m’sieu. J’ai rien dit, j’ai rien dit ! » Mais il rougit, se tortillant sur son seau. La jument, sensible aux changements d’ambiance, tourna la tête vers l’enfant.
    « D’accord, mais il y a quelque chose d’autre, pas vrai ? »
    Il hésita, puis nous regarda Barak et moi.
    « Allez, mon garçon ! insista Barak.
    — Je te promets qu’Abigail n’aura aucun ennui, ajoutai-je. Mais je pense que tu as oublié de me parler de quelque chose. »
    Le gamin haletait, la bulle de morve tressaillait dans sa narine.
    « Dis-nous ce que tu sais, reprit Barak. La maison de messire Shardlake est bien chauffée. Tu t’y plairas.
    — Je regarde les gens ! lança-t-il soudain, désignant un trou laissé par un nœud dans le bois de la porte de l’écurie. Par là. J’en ai assez de rester ici tout le temps.
    — Maître Toby ne te permettait pas souvent de sortir, hein ?
    — Juste pour aider à faire le ménage. Je m’excuse si c’était mal de regarder.
    — Et que voyais-tu ? demandai-je calmement.
    — Des marchands qui venaient livrer leur marchandise. Le vendeur d’œufs. Le petit ramoneur et le menuisier pour réparer le paravent en bois, la fois où Toby l’a renversé. Mais c’était avant l’arrivée d’Abigail.
    — Et après ?
    — De temps en temps, un homme venait voir Abigail. Quand lemaître était sorti et que Toby avait son jour de congé. Toby n’était pas au courant, précisa-t-il en baissant la tête.
    — Qui était-ce ?
    — J’en sais rien, dit-il en secouant la tête.
    — Venait-il souvent ?
    — Quelques fois, cet hiver. Quand il y avait de la neige sur le sol.
    — Était-il grand de taille ? Était-ce un bourgeois ? demandai-je en pensant à Goddard.
    — Non, m’sieu. Il était jeune, répondit-il en secouant la tête à nouveau.
    — Quel âge avait-il ? »
    Il réfléchit quelques instants. « Je sais pas. Vingt ans peut-être.
    — Comment était-il physiquement ?
    — Plus grand que vous deux. Costaud. Comme lui, ajouta-t-il en désignant Barak.
    — Blond ou brun ?
    — Brun. Et il était beau. Abigail disait qu’il avait un beau visage.
    — Elle te parlait de lui ? fis-je, m’efforçant de maîtriser le frémissement de ma voix.
    — Pas beaucoup, m’sieu. Quand je lui ai dit que je l’avais vu, elle m’a dit que moins j’en savais sur lui moins je pouvais en parler. Elle était pas contente que j’étais au courant.
    — Par conséquent, il venait lui rendre visite en secret.
    — Oui.
    — Est-ce qu’elle le connaissait avant de venir s’installer ici ?
    — Je sais pas, répéta Timothy. Vraiment, m’sieu, je sais rien là-dessus.
    — Était-ce l’une des ouailles du révérend ?
    — J’en sais rien, m’sieu ! Je le voyais seulement parce qu’il passait par la porte de derrière. Quand le maître était sorti. S’il vous plaît, m’sieu ! s’écria-t-il, au bord des larmes, je vous ai dit tout ce que je sais.
    — Très bien. Merci, Timothy. Allons ! Viens avec nous. Barak, porte les dossiers au tribunal. Je t’y rejoindrai dès que j’aurai accompagné Timothy à la maison. »
    Barak eut l’air sceptique. « Ne devriez-vous pas en parler à Harsnet avant de l’emmener ?
    — Ce n’est pas nécessaire. Le maître de Timothy est mort et je le prends à mon service… Je veux le garder en sécurité chez moi, ajoutai-je en me penchant tout près de Barak. C’est peut-être la seule personne qui ait survécu après avoir vu le meurtrier.
    — En tout cas, l’individu qu’il a essayé de décrire ne ressemble en rien à Goddard.
    — En effet. Ils semblent ne rien avoir en commun, n’est-ce pas ? »
    Timothy se leva et posa une main sur le flanc de la jument. « S’il vous plaît, m’sieu. Est-ce que je peux emmener Dinah avec moi ?
    — Je suis désolé, mon petit, mais nous avons déjà deux chevaux. »
    Il se mordit la lèvre. La jument et Abigail étaient sans doute les