Prophétie
deux seuls amis qu’il ait jamais eus. Mais je ne pouvais pas me charger d’un cheval dont je n’avais pas besoin.
Barak tendit la main. « Allez, viens, petit morveux ! dit-il gentiment. Allons te mettre en sécurité à la maison ! »
26
J e me remis en selle et me dirigeai lentement vers Chancery Lane , le gamin trottinant à mon côté, une main accrochée au harnais de Genesis, de peur d’être séparé de moi dans les rues bondées. La nouvelle n’allait pas plaire à Harsnet, persuadé qu’il était que Goddard était le tueur. S’il n’était d’ailleurs pas impossible qu’il le fût, il nous fallait cependant découvrir l’identité du jeune homme qui rendait visite à la catin. Il était encore tôt et les marchands ouvraient leur boutique, chassant les mendiants qu’ils trouvaient sur le pas de leur porte. L’un d’eux, un jeune gars, s’était effondré en pleine rue et était soutenu, quasiment porté, par deux autres. Timothy contempla la scène, puis leva vers moi un regard terrifié. Je tirai immédiatement sur les rênes du cheval et dis au gamin de monter en croupe.
Nous atteignîmes ma maison et, à ses yeux écarquillés, je compris qu’il était émerveillé par ses dimensions. Je le fis entrer et le conduisis à la cuisine, où Joan était en train de travailler. Je fus content de voir qu’Orr, l’envoyé de Harsnet, l’aidait en épluchant des pommes de terre. Joan poussa les hauts cris en voyant la saleté du gamin, et lui donna un seau d’eau en lui enjoignant d’aller se laver de la tête aux pieds dans l’écurie. Il sortit sagement. Le jeune Peter était présent et, la mine revêche, salua le nouveau venu d’un hochement de tête.
« Tu as intérêt à bien traiter Timothy, lui dit Joan en fronçant les sourcils. Il est plus jeune que toi et se trouve dans une nouvelle place. Tu devrais être ravi car il va effectuer certaines des tâches qui te déplaisent. Bon, maintenant, donne-lui tes vieux vêtements trop petits, dont j’allais faire des chiffons.
— D’accord, mame Joan. » Il sortit de la pièce, l’air penaud. Joan me sourit.
Je lui rendis son sourire. « Tout le monde tient à son rang, n’est-ce pas ? Même les marmitons.
— C’est aussi la peur de perdre sa place. Il y a tant de mendiants à Londres désormais. Il est très facile de trouver un serviteur moins cher que celui qu’on a.
— Oui. Ce genre de concurrence rend anxieux. »
Quand tout cela sera terminé, décidai-je, j’engagerai aussi un valet adulte pour aider Joan dans ses tâches. J’en avais les moyens.
Je montai me changer et revêtir ma plus belle robe. Bien que ce fût la plus chaude journée jusqu’à présent, j’avais froid et, tandis que je m’habillais, les points de suture dans mon bras me tiraient. Je repassai dans ma tête les arguments que j’avais élaborés pour l’audience concernant Adam, afin que la Cour reçoive régulièrement des rapports et que sa pension soit payée sur les fonds de Bedlam. J’avais demandé que Guy témoigne qu’Adam était si malade qu’il avait besoin d’être protégé par la Cour. Quant à sa libération, elle me paraissait hors de question pour le moment ; il était plus en sécurité là où il était.
Guérirait-il jamais, ou resterait-il toujours prisonnier de ces atroces souffrances de l’âme ? Et le tueur que nous pourchassions, souffrait-il lui aussi ? À mon avis, il prenait plaisir à ce qu’il faisait, à la minutieuse préparation de ses crimes et à leur cruelle exécution. Quelque part dans la ville, il était déjà en train d’élaborer son prochain meurtre. Je connaissais désormais par cœur la partie de l’Apocalypse qui traitait des sept anges et des sept coupes d’or. « Et le cinquième ange versa sa coupe sur le siège de la bête, et son royaume devint enténébré. Et les hommes se mâchèrent la langue de douleur. » Je savais que le siège de la bête était censé être l’antre du diable. Mais que contenait la cinquième coupe ?
Barak m’attendait dans le vestibule grouillant de monde de la Cour des requêtes. Je parcourus du regard la scène familière : les plaignants installés sur les bancs le long des murs, en train de regarder les avocats qui négociaient au centre de la pièce. Je reconnus un couple âgé, assis aux côtés d’Ervin, mon confrère à la Cour des requêtes, qui me fit un signe de tête fort sec. J’avais en effet accru sa charge
Weitere Kostenlose Bücher