Prophétie
mes soucis, que si elle restait à Londres, je lui demanderais sa main, après un délai décent. Avec le temps, pensai-je, les sentiments qu’elle éprouvait jadis pour moi pourraient être revivifiés. Peut-être renaissaient-ils déjà, car autrement pourquoi aurait-elle évoqué cette vieille histoire ? Et j’eus soudain la certitude que Roger aurait approuvé.
La découverte que mes sentiments pour Dorothy ne s’étaient peut-être jamais éteints et la pensée que tout espoir n’était pas perdu me mirent du baume au cœur. C’était là enfin une perspective réjouissante au milieu de ces périls et de cette confusion ! Soudain, sur le chemin de mon cabinet, j’aperçus à nouveau Bealknap qui, tout tordu, le dos voûté, traversait Gatehouse Court. Il avait désormais besoin d’une canne pour marcher et, puisqu’il baissait la tête, j’aurais pu l’éviter, mais je n’en fis rien. Je me rappelai ma rencontre avec son médecin dans l’échoppe de Guy et ses affirmations à propos des vertus de la purge et de la saignée.
Au moment où je m’approchais de lui, Bealknap leva les yeux. Son visage habituellement mince était à présent décharné. Il planta sur moi un regard plein de rancœur et de haine et je me rappelai que, lorsqu’il était en bonne santé, il ne vous regardait jamais en face.
« Je suis désolé de vous voir marcher avec une canne, dis-je.
— Fichez-moi la paix ! Ôtez-vous de mon chemin ! s’écria-t-il en serrant sa canne comme s’il voulait me frapper. Vous finirez par regretter la façon dont vous m’avez traité.
— À la Cour des requêtes ? J’étais obligé d’agir ainsi. Mais, croyez-le ou non, je n’aime pas voir quelqu’un malade. » J’hésitai, luttant contre le désir soudain de m’éloigner. « Il y a quelques jours, j’ai rencontré votre médecin, repris-je. Le Dr Archer. »
Ses yeux s’étrécirent. « Qu’a mon médecin à voir avec vous ? demanda-t-il, suspicieux.
— Je l’ai rencontré par hasard dans l’échoppe de mon ami, le Dr Malton. Il vous a cité comme son patient de Lincoln’s Inn. Il m’a paru être un administrateur de purges de la vieille école.
— En effet, il me saigne et me purge sans cesse. Il affirme que mon corps est en très mauvais état et qu’il n’arrête pas de produire de mauvaises humeurs dont il faut le libérer coûte que coûte. » Il posa une main sur son ventre et fit la grimace. « Il m’a prescrit une nouvelle purge, un très puissant laxatif qui m’arrache les tripes.
— Certains médecins ne connaissent que la purge comme traitement. Avez-vous pensé à consulter un autre praticien ?
— Le Dr Archer était le médecin de mon père. À quoi cela servirait-il de consulter un second médecin, à part… compliquer les choses ? Et dépenser inutilement de l’argent. Archer parviendra à me guérir tôt ou tard », ajouta-t-il en me lançant un regard de défi. Connaissant Bealknap, cela m’étonnait qu’il fasse confiance à un médecin dont le traitement dégradait sa santé. Mais on peut être aussi malin qu’un serpent dans un domaine et aussi naïf qu’un collégien dans un autre. Je pris ma respiration et déclarai : « Bealknap, pourquoi n’allez-vous pas consulter mon ami, le Dr Malton ? Pour avoir un deuxième avis.
— Ce moine basané ? Et si le Dr Archer l’apprenait ? Il cesserait alors de me soigner.
— Il n’est pas nécessaire qu’il l’apprenne.
— Le Dr Malton voudra être payé d’avance, j’imagine. Il empochera ainsi de nouveaux honoraires.
— Pas du tout », le rassurai-je tranquillement. Au cas où Bealknap allait consulter Guy, je réglerais moi-même les honoraires plutôt que d’obliger Guy à réclamer son dû.
Bealknap plissa les yeux. À son regard calculateur, je devinai qu’il supputait ses chances d’obtenir une consultation gratuite et ainsi, selon son étrange logique, de marquer un point contre moi.
« D’accord ! lança-t-il d’un ton agressif comme s’il relevait le gant. Je vais aller le consulter pour entendre son avis.
— Fort bien. Son cabinet se trouve à Bucklersbury. Je dois aller le voir demain. Voulez-vous que je prenne rendez-vous pour vous ?
— Pourquoi faites-vous cela ? demanda-t-il en plissant les yeux derechef. Pour faire gagner de l’argent à votre ami ?
— Je n’aime pas voir la santé de quelqu’un se dégrader à cause d’un traitement
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