Prophétie
reconnaissante ?
— Donnez-lui du temps.
— Je me demande parfois pourquoi je devrais supporter ça. J’ai même envie de le quitter, mais je n’ai nulle part où aller. » Elle se mordit la lèvre. « Je ne devrais pas vous ennuyer avec mes tracas, monsieur.
— Vous n’avez personne à qui en parler. Mais, si ça peut vous consoler, songez que Jack a d’autres soucis en ce moment.
— J’admirais son côté aventureux, tout en souhaitant qu’il se range. Après cette affaire, je suis persuadée qu’il sera très heureux de mener une vie tranquille. Mais voudra-t-il la mener avec moi ?
— J’en suis certain. Je regrette de l’avoir embarqué dans cette histoire. À cause de la mort de mon ami.
— Comment va sa veuve ?
— Malgré sa force de caractère, elle est toujours accablée de chagrin. »
Elle planta sur moi un regard pénétrant. Avait-elle deviné les sentiments que j’éprouvais pour Dorothy ? « Il faut que j’aille travailler avant de me rendre au palais de Lambeth, dis-je en me levant.
— Chez l’archevêque ?
— Oui.
— Faites attention, monsieur.
— Vous aussi, Tamasin. Prenez bien garde. »
Je me dirigeai vers l’écurie, décidé à ne pas emmener Barak avec moi. Laissés en tête à tête, lui et Tamasin pourraient peut-être parler davantage. J’aurais hésité à me rendre à pied à Westminster, mais, juché sur mon cheval, je me sentirais moins vulnérable. Depuis peu, je n’avais plus l’impression d’être suivi. Si je plaignais Tamasin, je plaignais aussi Barak maintenant. Je repensai à Dorothy et fus soudain assailli de doutes. Même si mes sentiments pour elle avaient pu demeurer en latence durant toutes ces années, il n’y avait aucune raison que les siens renaissent avec la même vigueur. Peut-être qu’avec le temps… Je verrais comment les choses évolueraient au cours des mois à venir.
Le petit Timothy travaillait dans l’écurie, ratissant du fumier pour en remplir un seau. Une botte de paille fraîche se trouvait près de la porte. Genesis était dans sa stalle, contemplant tranquillement la scène. Je fus content de constater que le cheval semblait à l’aise avec le gamin.
« Comment ça va, Timothy ?
— Bien, m’sieu. » Il sourit, ses dents blanches illuminant son visage sale. C’était la première fois que je le voyais sourire. « Maître Orr nous apprend l’alphabet, à Peter et à moi.
— Ah oui, je l’ai vu avec Peter. C’est bien de connaître ses lettres.
— Oui, m’sieu, seulement…
— Oui ?
— Il parle tout le temps du bon Dieu. »
Et après ce que tu as vu chez Yarington, pensai-je, tu te passerais volontiers de Dieu. « Vous vous entendez, Peter et toi ? m’enquis-je pour changer de sujet.
— Oui, m’sieu. Tant que je le laisse faire son boulot pendant que je fais le mien.
— Fort bien. Tu sembles être devenu copain avec Genesis.
— C’est un cheval facile… Est-ce que vous savez, m’sieu, demanda-t-il après un instant d’hésitation, ce qu’est devenue la jument de messire Yarington ?
— Hélas, non. Quelqu’un va sûrement l’acheter. » Timothy eut l’air triste. « Je n’ai pas besoin d’un troisième cheval, repris-je. Allez, selle Genesis pour moi. »
Je montai en selle et m’éloignai. C’était triste de penser que le seul ami du gosse ait été le cheval de Yarington. Mais je ne voulais pas aller jusqu’à l’acheter pour lui. De toute façon, l’écurie n’était pas assez grande. Je m’écartai en toute hâte pour éviter un colporteur à la barberousse qui poussait un chariot plein de vêtements. Vagabonds, pauvres hères sans feu ni lieu, songeai-je. Gueux et colporteurs. Partout. L’hospice… Quand cette histoire serait terminée, il faudrait que je m’en occupe.
Je mis plus de temps que d’habitude à gagner le débarcadère de Westminster, les rues étant détrempées et une ou deux inondées. On disait que la Tyburn avait débordé en amont, inondant les champs. Apercevant un atelier d’imprimeur fermé, les volets clos, je me demandai si le propriétaire avait été emmené par les sbires de Bonner.
L’atmosphère était tendue dans le bureau de Cranmer, au palais de Lambeth. Tous les puissants hommes engagés dans cette sinistre quête étaient réunis. Harsnet se trouvait près de la porte, l’air abattu, lord Hertford se tenait en face de lui, caressant sa longue barbe, ses yeux proéminents
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