Prophétie
étincelant de colère, tandis que son frère Thomas se dressait à côté de lui, les bras croisés, la mine sinistre. Comme d’habitude, ce dernier portait de riches vêtements aux couleurs éclatantes : ce jour-là, un pourpoint d’un vert lumineux aux manches à crevés pour laisser voir une doublure de soie vermillon. Cranmer était assis à son bureau, vêtu de sa robe blanche et de son étole, le visage sévère.
« J’espère que je ne suis pas en retard, monseigneur.
— Je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai plusieurs affaires urgentes à régler, déclara-t-il, anxieux, les traits tirés. Entre autres, il me faut persuader le Conseil privé de m’autoriser à faire subir un interrogatoire au doyen Benson, sans expliquer pourquoi… Alors que la plupart de ses membres préféreraient qu’on m’arrête, moi, plutôt que lui, ricana-t-il amèrement.
— Nous avons demandé au coroner Harsnet, me dit Hertford, comment il se fait qu’il ne trouve pas le dénommé Goddard, malgré toutes les ressources que nous lui avons allouées.
— Il est facile de disparaître dans Londres », répondis-je. Harsnet me remercia d’un petit signe de tête.
« Mais cet homme doit avoir des antécédents ! s’écria Hertford en claquant violemment sa main sur le bureau, geste inhabituel qui nous fit tous sursauter. Il a bien dû venir de quelque part avant d’entrer à l’abbaye, ou a-t-il surgi du sol, tel un démon de l’enfer ?
— Je ne crois pas que sa famille soit originaire de Londres, dit Harsnet. Je pense qu’elle vient d’une région du Middlesex, ou du Surrey, voire du Kent, proche de la ville. Je continue à faire des enquêtes auprès des autorités de ces comtés, mais cela prend du temps.
— Le temps, c’est justement ce qui nous manque, dit Cranmer. Il reste encore trois coupes à verser, trois meurtres devraient donc être commis, et chaque meurtre rend la situation plus difficile à cacher… Selon messire Harsnet, vous pensez qu’il se peut qu’il y ait un autre suspect, me dit Cranmer d’un ton grave. Un jeune homme qui rendait visite à la putain de Yarington, celle qui s’est échappée », ajouta-t-il, en jetant un regard de travers à Harsnet. Ils le rendaient responsable de tout : l’enlisement de l’enquête, la fuite de la catin et la disparition de Lockley.
« Le fait qu’il savait que Yarington avait une fille chez lui le rend suspect, avançai-je avec prudence. Mais rien ne l’implique dans les autres meurtres. Cependant, toutes les preuves concernant Goddard sont également indirectes. » Je lançai un nouveau coup d’œil à Harsnet, avant de poursuivre mon explication. « Monseigneur, l’individu que nous recherchons est extrêmement rusé. Il semble avoir fait du meurtre une mission, l’unique but de sa vie.
— Il a plutôt l’air d’un possédé que d’un fou », affirma lord Hertford. Avait-il le même mode de pensée que Harsnet ?
« Nous ignorons qui il est, répondis-je.
— Il appartient à une nouvelle espèce d’individus, déclara sir Thomas. Il est vrai que le monde regorge de nouveautés », fit-il en esquissant un petit sourire cynique. C’est pour lui un fascinant rébus, pensai-je. « Peut-être devrions-nous laisser cet homme mettre en œuvre la prophétie, reprit-il, tandis que nous nous concentrons sur la façon de dissimuler ces meurtres. Nul doute qu’il s’arrête une fois qu’il aura perpétré les sept meurtres. Sans doute imagine-t-il que ce sera alors la fin du monde. Quand rien ne se passera, peut-être ne supportera-t-il pas son échec et se tuera-t-il alors.
— Je ne pense pas que quelqu’un pour qui tuer constitue une mission puisse s’arrêter, dis-je tranquillement.
— Je suis d’accord avec vous, renchérit Cranmer. Et comment pourrions-nous laisser continuer ces horreurs ? Combien d’hommes avez-vous à votre disposition, Gregory ? demanda-t-il à Harsnet.
— Quatre.
— Et vous faites circuler les noms que Cantrell a donnés parmi les évangélistes radicaux ?
— Oui.
— Maintenant, il nous faut absolument retrouver Lockley, ainsi que la dénommée Abigail… Vous avez besoin d’hommes supplémentaires, poursuivit Cranmer, après quelques instants de réflexion. Des personnes capables de se livrer à ce genre de recherches. Je n’ose pas choisir des membres de ma maisonnée, car elle comporte désormais des espions.
— Je dois être prudent, moi aussi, dit lord
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