Prophétie
m’avez fait perdre le procès concernant le maraîcher… Le lendemain, un homme s’est présenté à mon cabinet. Un certain Colin Felday. » Il reprit son souffle. « C’est un avoué. Il traîne dans le Sanctuaire de Westminster à la recherche de clients et je suis l’un des avocats vers qui il les rabat. Ce n’est pas un homme bien… Le genre de personne qui vous déplaît. » Il voulut rire, mais le râle se transforma en toux. Il rouvrit des yeux empreints de douleur et de frayeur. « Il m’a dit qu’il avait un client qui paierait cher tout renseignement que je pourrais fournir sur vous.
— Quelle sorte de renseignement ?
— N’importe lequel. Vos habitudes de travail, votre adresse. Même sur votre caractère. Et sur Barak, votre assistant. Je lui ai dit que vous étiez un pédant empesé, aigri par votre condition de bossu. Que vous étiez entêté, comme un foutu terrier. Même si vous étiez loin d’être un imbécile. » Il tenta une nouvelle fois de rire. « Tout sauf ça ! »
Je le regardai fixement. Il s’agissait du meurtrier. C’était évident. Voilà comment le tueur avait obtenu des renseignements sur moi. L’avoué avait peut-être écrit à Roger à sa demande. « Qui est le client de Felday ? fis-je d’un ton sec. Comment s’appelle-t-il ?
— Il m’a dit qu’il ne pouvait pas me le révéler. Seulement qu’il vous voulait du mal. Un argument suffisant, pour moi. » À nouveau ses yeux brillèrent de colère. C’était peut-être un aveu, mais il n’éprouvait aucun sincère sentiment de repentir. Seulement un grand effroi devant la mort.
« Je suis persuadé que le client de Felday a tué cinq personnes, dis-je. Je le pourchasse et lui me pourchasse. Il m’a donné un coup de couteau dans le bras et a grièvement blessé l’épouse de Barak. »
Il détourna le regard. « Je n’étais pas au courant. Personne ne peut me tenir responsable de ses méfaits. » Je ne pus retenir un sourire ironique en voyant reparaître le Bealknap habituel. Il survivrait, pressentis-je alors.
« Où habite Felday ?
— Dans un logement minable près de la cathédrale. À Addle Hill.
— Je vais envoyer chercher Guy. Et je lui demanderai s’il connaît un prêtre. » Bealknap hocha faiblement la tête, mais garda les yeux clos. Sa confession l’avait épuisé, ou peut-être n’osait-il plus me regarder en face. Je le quittai et refermai la porte doucement derrière moi.
Dorothy était toujours dans son fauteuil près du feu et Margaret s’était assise sur un tabouret en face d’elle. Elles avaient toutes deux l’air vannées. « Margaret, dis-je. Auriez-vous le courage de retourner à son chevet ? Je pense qu’il serait bon de lui faire avaler un peu de liquide.
— Va-t-il mourir ? demanda sans ambages Dorothy, une fois que Margaret eut quitté la pièce.
— Je n’en ai aucune idée, mais lui en est persuadé. Je vais faire quérir Guy. Bealknap réclame également un prêtre pour se confesser. »
Elle émit un rire sans joie. « Bealknap ne m’a jamais donné l’impression d’être un croyant à l’ancienne manière. Ou de croire à autre chose qu’à se remplir les poches.
— À mon avis, il considère ça comme une sorte d’assurance… Étrange personnage ! Il paraît qu’il garde sous clef dans son cabinet un énorme coffre d’or. Mais il n’a ni femme, ni amis, seulement des ennemis. Comment est-il devenu l’homme qu’il est aujourd’hui ?
— Qui peut le dire ? En tout cas, j’espère qu’il survivra. Je n’ai aucune envie que survienne ici une autre mort. Merci d’avoir répondu à mon appel, Matthew. Margaret et moi, poursuivit-elle en souriant, ne savions que faire. Bizarrement, nous ne parvenions pas à réfléchir posément.
— Rien d’étonnant, vu les circonstances. »
Elle se leva. « Permets-moi au moins de te donner quelque chose à manger. Je parie que tu n’as pas encore dîné.
— Non merci. Je dois faire quelque chose de toute urgence.
— À propos de ces meurtres ?
— Oui. J’ai peut-être une piste. »
Elle s’approcha de moi et me saisit une main qu’elle examina. « Tu as passé par des moments très pénibles et tu as l’air plus fatigué que jamais.
— Je pense que nous touchons au but.
— Quand j’ai découvert cet homme livide, allongé sur le seuil, ça m’a rappelé de bien mauvais souvenirs… Le moment où j’ai vu le corps de
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