Prophétie
effet. » Adam mangeait à toute allure, sans s’occuper de moi.
« Il paraît que le roi a proposé une loi interdisant aux femmes de lire la Bible, dit Ellen.
— C’est tout à fait vrai. Et aux gens sans instruction.
— On retourne en arrière, observa-t-elle en souriant tristement. Après tout, peut-être est-ce une bonne chose, puisque ce sont les nouvelles mœurs qui ont mis Adam dans cet état. »
Était-ce, malgré son ton détaché, à cause de quelque dissidence religieuse qu’Ellen n’avait pas le droit de quitter Bedlam ? Je regardai à nouveau la chaîne attachée à la jambe d’Adam. « Ellen, dis-je. Je ne sais pas pourquoi vous n’avez pas le droit de quitter Bedlam, mais si je peux vous aider en quoi que ce soit, j’en serai ravi. »
Elle m’adressa son habituel sourire morose. « Je vous remercie, monsieur, mais je ne suis guère malheureuse. » Elle avait l’air triste malgré tout. Comment une femme aussi intelligente pouvait-elle supporter l’idée de passer sa vie entière en ce lieu et de ne recevoir du monde extérieur que des nouvelles de seconde main ?
Ayant avalé sa bouillie à toute vitesse, Adam s’agenouilla, se recroquevilla sur lui-même et se mit à prier. « Père céleste, chuchota-t-il. Pardonne-moi. J’ai péché contre la lumière. La lumière…
— Maintenant qu’il a mangé, je vais le laisser prier un peu, dit-elle. Jusqu’à l’arrivée du Dr Malton. Cette idée aussi vient de lui : négocier avec Adam, lui accorder un certain temps pour la prière, tout en exigeant qu’il se livre à d’autres activités.
— Y a-t-il du changement ?
— Une petite amélioration. Mais c’est loin d’être facile. Il s’est réveillé hier en disant qu’il pensait que les oiseaux qui chantaient dans les arbres dénonçaient ses péchés.
— Ce doit être un travail épuisant pour une femme. Moi, je serais incapable de faire ce que vous faites. Vous devez trouver très pénible de passer tout votre temps avec ces gens. Aucun ne doit être facile.
— Qui est facile en ce bas monde ? » répliqua-t-elle en se rembrunissant.
Je compris que je l’avais vexée. Il y eut un silence gêné. « J’ai rencontré les parents d’Adam. Ils trouvent qu’il fait des progrès.
— Oui. Pourtant j’ai l’impression que son père se sent impuissant. C’est triste de voir cet homme costaud se tenir là, les bras ballants, totalement désemparé.
— Le chef gardien Shawms ne vous crée plus d’ennuis ?
— Non, répondit-elle en souriant à nouveau. Grâce à vous, monsieur. Il me permet d’emmener Adam au parloir pour qu’il se mêle aux autres patients. Le Dr Malton affirme que c’est bon pour lui d’être entouré de monde. Il faut essayer de le faire sortir de l’univers lugubre dans lequel il s’est enfermé.
— Shawms affirme qu’Adam dérange toujours les autres patients.
— Moins qu’avant. Ils lui crient de se taire et d’arrêter de prier. Ce n’est pas une mauvaise chose. Si tous les patients peuvent voir les problèmes des autres, ils ne voient pas les leurs, en général.
— En effet ! » lança une voix depuis le seuil. Guy pénétra dans la pièce. Je fus surpris d’apercevoir dans sa main un exemplaire du Nouveau Testament. Devant son air épuisé, je me sentis coupable de l’avoir envoyé à Lincoln’s Inn la veille. « Comment va Bealknap ? demandai-je.
— On devrait inculper le Dr Archer pour mise en danger de la vie d’autrui. Apparemment, messire Bealknap n’avait été le consulter que pour un mal de ventre persistant. Comme il ne mangeait plus, il s’était affaibli. Les purges et les saignées d’Archer n’ont fait que l’affaiblir davantage. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce qu’il se soit cru mourant. Je lui ai prescrit des aliments nourrissants et du repos pendant une semaine. Il pourra ensuite rentrer chez lui et, je l’espère, se soigner tout seul.
— Fort bien. Merci.
— J’ai peur que Mme Elliard n’ait guère apprécié que je déclare que quelqu’un doit s’occuper de lui pour le moment.
— Dorothy a toujours du mal à reprendre le dessus. La découverte de Bealknap, effondré sur le pas de sa porte, lui a rappelé la mort de Roger.
— C’est une femme charitable. Je crains d’avoir un peu joué là-dessus. Mais, dès lors que Beaknap est mon patient, je dois le faire passer en premier.
— Sans doute. » Que le diable emporte le
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