Prophétie

misérable ! pensai-je.
    « Je lui ai promis de revenir demain soir pour voir comment il va.
    — Lui avez-vous amené un prêtre ?
    — Non. Il n’en est pas encore là. Cela lui ferait croire que sa fin est proche.
    — Venez dîner à Chancery Lane ce soir après lui avoir rendu visite. Pour vous remercier du mal que vous vous donnez. Et je réglerai vos honoraires. »
    Il sourit. « Quel homme étrange ! Il a répondu volontiers à toutes mes questions parce qu’il avait très peur. Mais une fois que je lui eus annoncé qu’il n’allait pas mourir, il n’a presque plus rien dit. Pas le moindre remerciement. Ni pour moi, ni pour vous.
    — C’est du Bealknap tout craché… Je vous parlerai plus tard de ce qu’il a fait », ajoutai-je d’un ton grave.
    Guy haussa les sourcils puis s’adressa à Ellen. « Comment va Adam ?
    — Il a pris un petit déjeuner. Il m’a même gratifiée d’une sorte de sourire.
    — Alors il y a des progrès. » Guy se dirigea vers Adam et lui toucha délicatement l’épaule. Cessant ses frénétiques marmonnements, le jeune homme soupira, puis leva son visage émacié. « Il faut que je prie, docteur Malton. Je n’ai pas encore eu le temps de prier. »
    Guy s’accroupit sur ses talons en face de lui. J’enviai sa souplesse. « J’ai à nouveau apporté la Bible, dit-il. J’ai pensé qu’on pourrait lire ensemble certains passages. Aux yeux de Dieu, la lecture du Livre saint est aussi importante que la prière, pas vrai ?
    — Je vais aller voir les autres patients, dit Ellen. Cissy est morose une fois de plus. Elle refuse de reprendre sa couture.
    — Merci pour tout ce que vous faites », dit Guy.
    Elle fit une révérence et s’éloigna. Je la regardai partir, ses longs cheveux bruns s’échappant de son bonnet et oscillant sur ses épaules, puis me retournai vers Guy qui avait ouvert sa bible et s’efforçait d’engager la conversation avec Adam.
    « Si vous lisez les Évangiles, vous verrez que Jésus ne souhaite pas que ses disciples souffrent inutilement. Il veut qu’ils vivent dans le monde, et surtout qu’ils vivent harmonieusement ensemble, au lieu de se couper des autres comme vous le faites.
    — Mais Dieu met son peuple à l’épreuve. Voyez Job. Il lui a fait subir épreuve sur épreuve, déclara-t-il en frappant le sol de pierre de son poing squelettique.
    — Est-ce ce que vous pensez ? Que Dieu vous met à l’épreuve ?
    — C’est ce que j’espère. Cela vaut mieux que d’être exclu. D’être jeté en enfer pour l’éternité. J’ai peur de l’enfer, terriblement peur. J’ai lu dans l’Apocalypse…
    — Lisez les quatre Évangiles, Adam. Vous verrez que celui qui se repent n’est pas exclu. Voyez Marie-Madeleine… »
    Mais Adam secoua violemment la tête, se pencha complètement en avant et recommença à prier, ses lèvres bougeant sans bruit, les vertèbres ressortant dans son cou maigre. Guy poussa un soupir et se releva. « Je vais le laisser en paix quelques minutes, dit-il. C’est notre accord.
    — Guy, votre patience est sans fond, comme la mer.
    — Je suis la piste d’un mystère. J’essaie de comprendre ce qui s’est passé en étudiant ses réactions.
    — Vous n’avez pas voulu lui laisser la Bible pour qu’il la lise ?
    — Oh non ! Il chercherait tous les passages sur la damnation et sur le rejet provoqués par le péché, et il les serrerait contre son cœur. Qu’est-ce qui a bien pu déclencher ça ? Souvent les fous se retirent dans leur monde intérieur à la suite d’un terrible événement qui s’est produit dans le monde réel.
    — Sa mère continue à penser qu’il est en colère contre elle et contre Daniel.
    — À mon avis, c’est une des causes, mais pas la seule. » Il regarda le corps recroquevillé du jeune homme en se frottant le menton.
    « Je me demande quel monde intérieur le tueur s’est construit… Il a tué quelqu’un d’autre. » Je lui relatai les agissements de Bealknap et lui appris le meurtre de Felday. Je chuchotai pour éviter qu’Adam m’entende. Or il était tellement plongé dans ses prières que je doute qu’il m’eût prêté la moindre attention même si j’avais parlé normalement.
    Guy réfléchit quelques instants. « Le monde intérieur du tueur est sans aucun doute très différent de celui du malheureux Adam. Je pense qu’il se trouve sous l’emprise d’une telle obsession et d’un si grand orgueil que