Prophétie
Les soubresauts faisaient à nouveau souffrir mon dos, mais je serrai les dents. Par la porte d’entrée ouverte, nous vîmes les gardes se précipiter, le sergent leur hurlant de surveiller les portes et les fenêtres. L’âcre odeur de la fumée pénétra dans le bâtiment.
« Nous sommes en plein chaos, dis-je. Le feu provoque toujours une panique. Cantrell le sait fort bien.
— Est-ce qu’il est toujours dehors ? fit Barak.
— Il se peut qu’il soit rentré dans la maison après avoir déclenché l’incendie. »
Comme il ne répondait rien, je me tournai vers lui. Il porta un doigt à ses lèvres tout en désignant une porte entrebâillée derrière nous.
« Il y a une fenêtre ouverte dans cette pièce, chuchota-t-il. Je sens un courant d’air. »
Il dégaina son épée et je sortis mon poignard. Il recula d’un pas, attendit un court instant, puis d’un coup de pied défonça la porte. Nous nous ruâmes à l’intérieur, l’arme au clair.
Nous nous trouvions dans un débarras où s’empilaient contre les murs des tables et des chaises, ainsi qu’un tas de gros coussins. Il n’y avait personne dans la pièce, mais l’une des trois fenêtres donnant sur la pelouse était à demi ouverte. Barak plaqua la porte contre la paroi, au cas où quelqu’un se serait caché derrière, puis la referma et commença à donner des coups d’épée sous les chaises et les tables empilées. Je me dirigeai vers la fenêtre, toussant à cause de la fumée qui avait envahi la pièce. Dans la lumière lunaire, je vis le pavillon d’été s’effondrer au milieu de gerbes d’étincelles, tandis que les quelques hommes qui se trouvaient là faisaient un bond en arrière. Je me rappelai la fumée de la maison de Goddard et le terrible effet produit sur mon dos par la déflagration. C’est alors que j’entendis un cliquetis métallique suivi d’un bruit sourd.
Pivotant sur mes talons, je découvris Barak étendu sur le sol, le front ensanglanté, l’épée tombée à son côté. Au-dessus de son corps allongé, les coussins sous lesquels il s’était caché éparpillés autour de lui, se dressait Cantrell, vêtu de l’une de ses blouses élimées et brandissant la barre de bois qu’il m’avait montrée chez lui. Il ne portait pas de lunettes et je compris alors ce qu’avait voulu dire la vieille femme à propos de ses étranges yeux. C’étaient de très grands yeux, bleu pâle, au regard lourd et sombre, tels que je n’en avais jamais vu chez un être humain. Au moment même où il me regardait, il semblait également contempler un terrible et bouleversant spectacle intérieur. Toutefois il ne louchait ni ne plissait les yeux. Il avait exagéré sa myopie pour nous tromper et fort bien joué la comédie.
Je brandis mon poignard mais Cantrell fut plus rapide que moi. D’un mouvement souple et continu, il se pencha, ramassa l’épée de Barak et la pointa sur ma gorge. Je jetai un coup d’œil désespéré à Barak, mais il était inconscient, ou mort.
« Le Juif ne peut pas vous aider », dit-il d’une voix grave, vibrant de jouissance, tout à fait différente de celle, sourde, des fois précédentes. Il jeta sa matraque sur les coussins, gardant dans l’autre main l’épée de Barak dont la pointe me piquait la peau.
« Je vous tiens enfin à ma merci, déclara-t-il. Dieu vous a livré à moi. Je savais que l’incendie du pavillon d’été sèmerait la panique etque tout le monde courrait dans toutes les directions comme des fourmis ! » Il partit d’un rire d’enfant qui me glaça les sangs.
« Catherine Parr est bien gardée, répliquai-je, m’efforçant de parler d’un ton serein.
— J’imaginais que vous alliez tous croire que la mort de Goddard et le versement de la dernière coupe avaient clos la série. » Il secoua la tête, la mine grave à nouveau. « Mais, bien sûr, le diable sait que Catherine Parr est la Grande Prostituée annoncée. Satan vous a révélé la vérité, n’est-ce pas ? Maintenant, elle sera bien gardée. » Il se renfrogna, tel un enfant contrarié, puis sourit derechef. « Mais le Seigneur vous a livré à moi. Afin d’écarter un ennemi et de renforcer mon emprise. » Il jeta un bref coup d’œil au corps allongé de Barak, le poussa du bout de sa chaussure et sourit, fier de sa propre intelligence. Le visage de Barak était livide. Je priai qu’il fût toujours vivant. J’entendais des voix dehors, mais n’osai pas
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