Prophétie
dandidant nerveusement.
— Passons dans mon cabinet de consultation et voyons quel est le problème.
— Comme vous l’aviez demandé, j’ai apporté de l’urine. Je l’ai remise à votre apprenti.
— Je vais l’examiner. Contrairement à certains de mes collègues, précisa-t-il, je n’accorde pas une confiance absolue à l’urine. Mais il faut d’abord que je vous ausculte. Pouvez-vous attendre ici, Matthew ?
— Bien sûr. »
Ils me laissèrent seul et je m’assis sur un tabouret près de la fenêtre. La lumière faiblissait, les pots et les flacons jetant de longues ombres sur le plancher. Je repensai à Adam Kite, me demandant avec angoisse si Guy, toujours secrètement fidèle à son ancienne Église, allait déclarer qu’Adam était possédé. Ces derniers jours, je m’étais surpris à repenser à la gardienne brune de l’asile. Qu’avait-elle voulu dire lorsqu’elle avait affirmé qu’elle ne pourrait jamais quitter Bedlam ? Était-elle condamnée à la détention à perpétuité ?
La porte s’ouvrit et le jeune Piers entra, une bougie à la main et un gros livre sous le bras. Il plaça ce livre sur une haute étagère au milieu de plusieurs autres, puis alla allumer les bougies dans un chandelier placé très haut sur le mur. Une lumière jaune vacilla dans la pièce, ajoutant l’odeur de la cire au parfum des herbes.
« Cela vous dérange-t-il que je continue mon travail, monsieur ? me demanda-t-il.
— Je vous en prie. »
Il s’installa devant la table, prit une poignée d’herbes et se mit à les piler. Roulant les manches de son sarrau, il révéla des bras robustes, ses muscles se durcissant comme il écrasait les herbes.
« Il y a combien de temps que vous travaillez avec le Dr Malton ? demandai-je.
— Tout juste une année, monsieur, répondit-il en faisant un sourire qui révéla des dents d’une étincelante blancheur.
— Votre ancien maître est mort, n’est-ce pas ?
— Oui, monsieur. Il vivait dans la rue d’à côté. Le Dr Malton m’aengagé après sa mort subite. J’ai beaucoup de chance. C’est un homme extrêmement savant. Et d’une grande bonté.
— Ça c’est bien vrai ! » Piers reprit son travail. Il ne ressemblait pas du tout aux autres apprentis, gamins bruyants qui cherchaient constamment des ennuis. Ses manières calmes, son côté posé et sûr de soi étaient plutôt ceux d’un adulte que d’un adolescent.
Guy et Roger revinrent au bout d’une heure. La nuit était tombée et Piers devait se pencher tout près de son travail, une bougie placée à côté de lui. Guy posa une main sur son épaule. « Ça suffira pour ce soir, mon garçon. Il est temps d’aller dîner, mais d’abord, apporte-nous de la bière.
— Oui, monsieur. » Piers nous fit un salut et sortit. Je regardai Roger, ravi de voir sur son visage une expression de profond soulagement.
« Je ne souffre pas du mal caduc, dit-il avec un large sourire.
— Les questions les plus étranges peuvent avoir une solution toute simple. J’aime toujours commencer par chercher l’explication la plus simple, qui, comme nous l’a enseigné Guillaume d’Occam, a le plus de chances d’être la bonne. J’ai donc commencé par les pieds de messire Elliard.
— Il m’a fait mettre debout nu-pieds, expliqua Roger, puis m’a mesuré les jambes, m’a allongé sur son divan et a ensuite fait tourner mes pieds d’un côté puis de l’autre. J’avoue avoir été surpris. Je m’attendais à entendre une discussion savante sur mon urine.
— Finalement, nous n’en avons pas eu besoin ! s’exclama Guy avec un sourire de triomphe. J’ai découvert que le pied droit tourne nettement vers la droite, parce que la jambe gauche de messire Elliard est un tant soit peu plus longue. Le défaut s’est aggravé au cours des ans. Le remède c’est une chaussure spéciale, dotée d’une talonnette de bois qui corrige la marche. Je vais charger le jeune Piers de la fabriquer. Il est très adroit de ses mains.
— Je vous suis on ne peut plus reconnaissant, docteur. »
On frappa à la porte et Piers revint, portant sur un plateau trois coupes en étain qu’il posa sur la table.
« Buvons un verre pour fêter la fin des chutes de messire Elliard. » Guy prit un tabouret et en passa un à Roger.
« Roger songe à recueillir des fonds pour construire un hôpital, annonçai-je à Guy.
— Londres manque terriblement d’hôpitaux, fit Guy
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