Prophétie

de le maintenir au-dessus de la fontaine jusqu’à ce que mort s’ensuive. Puis on l’a jeté dans l’eau. »
    Il y eut un moment de silence dans la salle d’audience tandis que toute l’horreur de la scène décrite par Guy s’imprimait dans nos esprits. « Depuis combien de temps était-il mort lorsqu’on a découvert le corps ? s’enquit finalement Harsnet.
    — Quelques heures seulement. Le froid a dû retarder la rigidité cadavérique… Je crois qu’une pellicule de glace avait eu le temps de se reformer sur l’eau de la fontaine, ajouta-t-il en se tournant vers moi.
    — C’est bien ça », acquiesçai-je.
    Je jetai un coup d’œil vers Dorothy, assise près de Margaret, de l’autre côté de Barak. Elle était toujours calme, les traits figés. Étrangement, elle paraissait plus petite, comme si son corps s’était tassé sous le poids de ses lourds vêtements de deuil.
    Harsnet regarda Guy, la mine renfrognée. « Quel pourrait être le but d’une si effroyable mise en scène ? Un homme mort dans une fontaine de sang. »
    Guy étendit les mains. « Je n’en ai aucune idée », répondit-il. Cette formule m’est familière, pensai-je une nouvelle fois. « Une fontaine de sang »… Mais d’où venait-elle ?
    « Quel acte macabre ! s’écria Harsnet en secouant la tête d’un air troublé, avant de s’apprêter à se lever. Messieurs les membres de la commission, annonça-t-il d’une voix rassérénée, veuillez m’accompagner pour aller voir le corps. Vous aussi, docteur Malton, au cas où il y aurait des questions. Je vois qu’un certain confrère Shardlake estcensé identifier le corps… Est-ce vous ? me demanda-t-il, en se tournant vers moi.
    — En effet, monsieur le coroner. »
    Il fixa sur moi un long et pénétrant regard. « Depuis combien de temps connaissiez-vous le défunt ?
    — Vingt ans. Je souhaite ménager sa veuve. »
    Il jeta un coup d’œil vers Dorothy. « Très bien », fit-il et il se leva pour conduire la marche.
     
     
    Les membres de la commission n’eurent pas grand-chose à dire lorsqu’on retira le drap qui couvrait le corps de Roger. L’encens qui brûlait dans la pièce ne pouvait masquer l’odeur de décomposition. Je fermai les yeux devant le malheureux visage de Roger, et, alors que je ne priais plus très souvent, je demandai à Dieu qu’on arrête son meurtrier, que j’aie la force d’œuvrer à cette fin, et que, cette fois-ci au moins, Il entende ma requête. Quand je rouvris les yeux, je m’aperçus qu’un ou deux avocats avaient verdi. Guy nous montra les horribles blessures, expliqua de nouveau les diverses phases du meurtre. Personne n’ayant de question à poser, notre petite troupe regagna la salle d’audience. Harsnet posa sur nous un regard grave.
    « Aujourd’hui, nous devons déterminer les circonstances de la mort de Roger Elliard. Il s’agit à l’évidence d’un meurtre, mais qui est l’assassin ? À cet effet, je souhaiterais appeler Jack Barak. »
    Il posa alors à Barak une série de questions sur les empreintes de pas qu’il avait suivies.
    « Les empreintes menaient à la fontaine avant de faire demi-tour et de repartir dans la direction opposée, expliqua Barak. À l’aller la personne portait quelque chose, pas au retour. La neige fondait rapidement mais les empreintes étaient tout à fait nettes.
    — Un homme ordinaire ne pourrait sans doute pas transporter un corps inconscient sur une aussi longue distance, affirma Harsnet, sans parler d’escalader un mur.
    — Un homme très costaud et très déterminé en serait capable.
    — Vous travailliez jadis pour lord Cromwell, je crois ? » Comment Harsnet était-il au courant ?
    « En effet. Avant de devenir l’assistant d’un avocat.
    — En quelle capacité travailliez-vous pour lord Cromwell ?
    — J’était un homme à tout faire, répondit Barak d’un ton joyeux. J’exécutais les ordres de mon maître.
    — Vous pouvez vous rasseoir », lui intima froidement Harsnet, n’appréciant guère à l’évidence l’attitude de Barak. Assis à son côté, lecoroner Browne eut un petit rictus. Il ne participait pas du tout à la conduite des débats, sa présence étant manifestement de pure forme.
    On appela d’autres témoins. Les deux jeunes étudiants, puis moi-même, afin de préciser l’heure et les circonstances de la découverte du corps, et ensuite ce fut le tour de l’intendant Rowland. Questionné