Prophétie
supportait-il ?
« Ce sera tout pour aujourd’hui ! déclara le client. J’enverrai chercher le paquet demain. Combien vous dois-je ?
— Un shilling.
— C’est donné, commenta-t-il en sortant une grosse bourse dont il tira la pièce d’argent, avant de daigner me regarder. Vous êtes avocat, monsieur ? Où exercez-vous ?
— À Lincoln’s Inn, répondis-je d’un ton sec.
— Je soigne l’un de vos confrères. Messire Bealknap. Peut-être le connaissez-vous ?
— En effet. Il semble malade et très faible en ce moment, dis-je ironiquement.
— Oh, je vais bientôt lui rendre la santé, répliqua le médecin, apparemment sourd à cette critique. De nouvelles saignées vont le remettre sur pied. Au fait, je suis le Dr Archer. J’ai beaucoup d’expérience dans le traitement des maladies d’avocat, conclut-il en souriant d’un aircondescendant, avant de rattacher sa bourse à sa ceinture. Puis il esquissa un petit salut en direction de Guy et sortit de la boutique.
« Qui était ce personnage ? demandai-je.
— Archer est l’un des grands pontes du Collège des médecins. Je suis contraint de le supporter, ma position étant peu assurée dans cette institution. C’est un traditionaliste bon teint qui croit qu’il n’y a rien de nouveau en médecine depuis Galien, à part ses propres remèdes de charlatan. Je le laisse venir acheter ici les ingrédients qui entrent dans leur composition. C’est un homme influent qui adore me traiter de haut et je prends bien soin de lui consentir un rabais. » Il fit un geste de la main et dit d’une voix soudain lasse : « Oublions Archer ! En quoi puis-je vous aider, Matthew ? Je vois à votre mine qu’il ne s’agit pas d’une visite de courtoisie. » Il s’installa à sa table de consultation et m’invita à l’y rejoindre.
Je ne répondis pas tout de suite. De près, il avait l’air fatigué, épuisé même, et, si je répugnais à l’entraîner dans cette terrible affaire de meurtres, j’avais pourtant besoin de son avis. Je palpai l’insigne de pèlerin dans ma poche.
« Tu veux bien aller nous chercher du vin, mon garçon ? demanda-t-il à Piers. Tu n’aurais pas dû te moquer du Dr Archer, ajouta-t-il d’un ton indulgent. Il a beau être stupide, il a eu ses soupçons.
— J’en suis désolé, maître, mais ç’a été plus fort que moi.
— Oui. Je sais.
— Que dois-je faire si reviennent ces gens qui vendent de l’huile extraite des poissons géants surgis de la Tamise ? demanda Piers. Il paraît que beaucoup d’apothicaires en achètent.
— En prétendant qu’elle a toute sorte de propriétés magiques, sans aucun doute. Dis-leur de passer leur chemin. Ne les laisse surtout pas entrer, car ça sent très mauvais.
— Ce sont eux qui ont dû venir tout à l’heure, me dit Guy après le départ de Piers. J’ai cru que c’étaient les gosses du coin qui avaient frappé à la porte, avant de s’esquiver en courant. Ils pensent que c’est une bonne farce à faire le 1 er avril.
— Vous êtes trop indulgent avec ce gamin, vous savez. C’est sûrement risqué de se gausser d’un personnage comme le Dr Archer.
— Oui, mais il est si drôle, ce petit ! s’écria Guy en souriant, avant de redevenir sérieux. Que se passe-t-il, Matthew ? Cela concerne-t-il messire Elliard ?
— Oui. » J’hésitais toujours à le mêler à cette histoire. De quel droit l’impliquais-je dans cette périlleuse affaire ? Parce qu’il peut nous aider, me dis-je. Je le regardai droit dans les yeux. « Il se trouve que Roger a été la troisième personne à être récemment assassinée d’une façon atroce, selon un plan précis et sans mobile apparent. Or je croisavoir découvert la raison de ces meurtres, si “raison” est le terme adéquat. » Je lui parlai de Tupholme et du Dr Gurney, du rapport avec l’Apocalypse et de la possibilité que le meurtrier recherche d’anciens réformateurs apostats. Plus j’avançais dans mon récit, plus le visage sombre de Guy paraissait s’allonger et s’affaisser.
« Je connaissais Paul Gurney, répondit-il après que je lui eus fait jurer le secret, une fois mon récit terminé. Pas intimement, mais nous nous sommes rencontrés au cours de certaines réceptions. Il avait l’air d’un homme de sciences très calme. Contrairement à Archer, il ne pontifiait pas. Je le vois très bien commencer par être un réformateur avant de finir par
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