Prophétie

évocation me révulse. Les gens du cru étaient au courant, mais c’était un homme puissant et au-dessus des lois. Rais faisait venir le barbier du coin pour coiffer les jeunes garçons qu’il avait tués et dont il avait empalé les têtes sur des perches dans sa grande salle, et il lui demandait lequel lui paraissait le plus beau. Voilà le genre de choses dont il était friand.
    — Seigneur Dieu !
    — Cela a duré cinq ans, puis il a eu le tort d’irriter l’Église au cours d’un différend qui les opposait, et l’évêque du diocèse est enfin intervenu. Le maréchal a été jugé et pendu pour ses crimes qui ont horrifié le pays entier quand la nouvelle s’est répandue. Au cours de son procès, il a affirmé qu’il avait commis ces crimes simplement pour le plaisir.
    — Dieu du ciel ! » Je repensai au dossier concernant un jeune garçon qui, trois ans plus tôt, avait torturé des animaux et tué un petit mendiant, juste avant de périr lui-même de mort violente. J’eus la chair de poule, comme si je sentais quelque bestiole se traîner sur ma peau.
    « À mon avis, il a existé davantage de monstres de cet acabit qu’on ne le croit, dit Guy, l’air grave.
    — Certes, des assassins qui tuent sans raison… Je n’ai cependant jamais entendu… » J’hésitai, fronçant les sourcils au souvenir d’un événement qui s’était produit il y avait bien longtemps. « Non. Attendez, je pense qu’il y avait un cas…
    — Oui ? fit Guy en se penchant en avant.
    — Pendant nos études, on nous donnait des énigmes judiciaires à résoudre, ce qui nous conduisait à consulter des ouvrages de droit. Nous passions la moitié du temps à fouiller dans des livres poussiéreux à la bibliothèque de Lincoln’s Inn. Je me rappelle que l’un des étudiants était tombé sur le cas d’un criminel – oh, cela devait se passer il y a un siècle ! – qui avait été exécuté pour avoir tué plusieurs jeunes femmes… Où ces crimes avaient-ils eu lieu déjà ? À Norwich, me semble-t-il. Rien dans le procès ne pouvait constituer un précédent juridique, ricanai-je, mais les camarades en firent circuler le compte rendu parce qu’il regorgeait de détails répugnants. Vous connaissez les étudiants !
    — Vous, vous étiez différent ? demanda Guy en souriant.
    — En effet. Venant de Lichfield, je pensais qu’on voyait suffisamment de choses répugnantes à Londres, même à l’époque. J’étais plus intéressé par la recherche de cas exemplaires afin d’éblouir les doyens de l’école de droit. Je vais rechercher ce dossier à la bibliothèque, mais je ne crois pas que cet homme arrivait à la cheville du maréchal dont vous avez parlé. Et, même si c’est le cas, ce genre de criminel ne doit pas courir les rues. Comment un tel monstre peut-il passer inaperçu ? Comment les habitants de la région où se produisent de tels événements ne concentrent-ils pas toute leur énergie pour découvrir un tel tueur ? D’après votre récit, Gilles de Rais était un homme puissant. Une simple quidam serait pourchassé et vite retrouvé, même dans une grande ville.
    — Vous savez à quel point les enquêtes criminelles sont ardues, Matthew. En Angleterre, plus que dans le reste de l’Europe. Ici, chaque ville et chaque paroisse font appliquer la loi par l’intermédiaire de juges de paix et de coroners souvent corrompus, avec le concours de quelques sergents du guet qui sont en général des imbéciles.
    — Et qui mènent leurs enquêtes sans guère se préoccuper de ce qui se passe dans les districts voisins. Oui, j’en ai discuté avec Harsnet et Barak. Et du fait que la plupart des tueurs arrêtés sont des êtres impulsifs et stupides…
    — Tandis que celui-ci élabore un plan d’action, méticuleusement, patiemment, avec une obsession d’amant. Il s’investit tout entier dans son terrible projet, qui est peut-être l’expression d’une immense colère.
    — Et il choisit pour victimes des réformateurs zélés devenus apostats…
    — En effet. Si les êtres dont nous avons parlé ont un point commun, c’est leur passion perverse et dévorante qui domine entièrement leur existence. Ils peuvent être totalement dénués de conscience et il n’y a qu’eux qui comptent. De là à se persuader que DieuLui-même vous a confié la mission qui fait vos délices – par exemple accomplir l’œuvre pieuse décrite dans l’Apocalypse – il n’y a