Quand un roi perd la France
prince Édouard qui, à l’heure où messire de Boucicaut m’a
dépêché, commençait leur siège. Voilà, Sire, ce que je dois vous dire. »
Il se fit silence de nouveau. Puis
le maréchal de Clermont eut un mouvement de colère. « Pourquoi diable
avoir attaqué ? Ce n’était point ce qu’on leur avait commandé. – Leur
faites-vous reproche de leur vaillance ? lui répondit le maréchal
d’Audrehem. Ils avaient débusqué l’ennemi, ils l’ont chargé. – Belle
vaillance, dit Clermont. Ils étaient trois cents lances, ils en aperçoivent
vingt, et courent dessus sans plus attendre, en croyant que c’est grande
prouesse. Et puis, il en surgit mille, et les voilà fuyant à leur tour, et
courant se mucher au premier château. Maintenant, ils ne nous servent plus de
rien. Ce n’est point de la vaillance, c’est de la sottise. »
Les deux maréchaux se prenaient de
bec, comme à l’accoutumée, et le connétable les laissait dire. Il n’aimait pas
prendre parti, le connétable. C’était un homme plus courageux de corps que
d’âme. Il préférait se faire appeler Athènes que Brienne, à cause de l’ancien
connétable, son cousin décapité. Or, Brienne, c’était son fief, alors
qu’Athènes ce n’était qu’un vieux souvenir de famille, sans plus de réalité
aucune, à moins d’une croisade… Ou peut-être, simplement, il était devenu
indifférent, avec l’âge. Il avait longtemps commandé, et fort bien, les armées
du roi de Naples. Il regrettait l’Italie, parce qu’il regrettait sa jeunesse.
L’Archiprêtre, un peu en retrait, observait d’un air goguenard l’empoignade des
maréchaux. Ce fut le roi qui mit fin à leur débat.
« Et moi, je pense, dit-il, que
leur revers nous sert. Car voici l’Anglais fixé par un siège. Et nous savons à
présent où courir à lui, tandis qu’il y est retenu. » Il s’adressa alors
au connétable. « Gautier, mettez l’ost en route demain, à l’aurore.
Séparez-le en plusieurs batailles qui passeront la Loire en divers points, là
où sont les ponts, pour ne point nous ralentir, mais en gardant liaison étroite
entre les batailles afin de les réunir à lieu nommé, par-delà le fleuve. Pour
moi, je passerai à Blois. Et nous irons attaquer l’armée anglaise par revers à
Romorantin, ou bien si elle s’avise d’en partir, nous lui couperons toutes
routes devant elle. Faites garder la Loire très loin après Tours, jusques à
Angers, pour que jamais le duc de Lancastre, qui vient du pays normand, ne
puisse se joindre au prince de Galles. »
Il surprenait son monde,
Jean II ! Soudain calme et maître de soi, le voici qui donnait des
ordres clairs et fixait des chemins à son armée, comme s’il voyait toute la
France devant lui. Interdire la Loire du côté de l’Anjou, la franchir en
Touraine, être prêt soit à descendre vers le Berry, soit à couper la route du
Poitou et de l’Angoumois… et au bout de tout cela, aller reprendre Bordeaux et
l’Aquitaine. « Et que la promptitude soit notre affaire, que la surprise
joue à notre avantage. » Chacun se redressait, prêt à l’action. Une belle
chevauchée qui s’annonçait.
« Et qu’on renvoie toute la
piétaille, ordonna encore Jean II. N’allons pas à un autre Crécy. Rien
qu’en hommes d’armes, nous serons encore cinq fois plus nombreux que ces
méchants Anglais. »
Ainsi, parce que voilà dix ans les
archers et arbalétriers, engagés mal à propos, ont gêné les mouvements de la
chevalerie et fait perdre une bataille, le roi Jean renonçait à avoir cette
fois aucune infanterie. Et ses chefs de bannière l’approuvaient car tous
avaient été à Crécy et ils en restaient tout meurtris. Ne pas commettre la même
erreur, c’était leur grand souci.
Seul, le Dauphin s’enhardit à
dire : « Ainsi, mon père, nous n’aurons point d’archers du tout… »
Le roi ne daigna même pas lui
répondre. Et le Dauphin, qui se trouvait rapproché de moi, me dit, comme s’il
cherchait appui, ou bien voulait que je ne le prisse pas pour un niais :
« Les Anglais, eux, mettent leurs archers à cheval. Mais nul ne
consentirait, chez nous, à ce qu’on donnât chevaux à des gens du commun
peuple. »
Tiens, cela me rappelle…
Brunet !… Si le temps demain se maintient dans la douceur qu’il a, je
ferai l’étape, qui sera fort courte, sur mon palefroi. Il faut me remettre un
peu dans ma selle, avant Metz. Et puis je veux montrer aux
Weitere Kostenlose Bücher