Quand un roi perd la France
bannière de la papauté, je piquai vers la
hauteur, par le chemin qu’avait éclairé Ribemont, en direction du petit bois où
campait le prince de Galles.
« Prince, mon beau fils… »
car cette fois, quand je fus devant lui, je ne lui donnai plus du Monseigneur,
pour mieux lui laisser sentir sa faiblesse… « si vous aviez justement
considéré la puissance du roi de France comme je viens de le faire, vous me
laisseriez tenter une convention entre vous, et de vous accorder, si je le
puis. » Et je lui dénombrai l’armée de France que j’avais pu contempler
devant le bourg de Nouaille. « Voyez où vous êtes, et combien vous êtes…
Croyez-vous donc que vous pourrez tenir longtemps ? »
Eh non, il ne pourrait longtemps
tenir, et il le savait bien. Son seul avantage, c’était le terrain ; son
retranchement était vraiment le meilleur qu’on pût trouver. Mais ses hommes
déjà commençaient à souffrir de la soif, car il n’y avait pas d’eau sur cette
colline ; il eût fallu pouvoir aller en puiser au ruisseau, le Moisson,
qui coulait en bas ; or les Français le tenaient. Des vivres, il n’en
était guère pourvu que pour une journée. Il avait perdu son beau rire blanc
sous ses moustaches à la saxonne, le prince ravageur ! S’il n’avait pas
été qui il était, au milieu de ses chevaliers, Chandos, Grailly, Warwick,
Suffolk, qui l’observaient, il serait convenu de ce qu’eux-mêmes pensaient, que
leur situation ne permettait plus d’espérance. À moins d’un miracle… et le
miracle, c’était peut-être moi qui le lui apportais. Néanmoins, par souci de
grandeur, il discuta un peu : « Je vous l’ai dit à Montbazon,
Monseigneur de Périgord, je ne saurais traiter sans l’ordre du roi mon père…
— Beau prince, au-dessus de
l’ordre des rois, il y a l’ordre de Dieu. Ni votre père le roi Édouard, sur son
trône de Londres, ni Dieu sur le trône du ciel ne vous pardonneraient de faire
perdre la vie à tant de bonnes et braves gens remis à votre protection, si vous
pouvez agir autrement. Acceptez-vous que je discute les conditions où vous
pourriez, sans perdre l’honneur, épargner un combat bien cruel et bien
douteux ? »
Armure noire et robe rouge face à
face. Le heaume aux trois plumes blanches interrogeait mon chapeau rouge et
semblait en compter les glands de soie. Enfin le heaume fit un signe
d’acquiescement.
Le chemin d’Eustache dévalé, où
j’aperçus les archers anglais en rangs tassés, derrière les palissades de pieux
qu’ils avaient plantés, et me voici revenu devant le roi Jean. Je tombai en
pleine palabre ; et je compris, à certains regards qui m’accueillirent,
que tout le monde n’avait pas dit du bien de moi. L’Archiprêtre se balançait,
efflanqué, goguenard, sous son chapeau de Montauban.
« Sire, dis-je, j’ai bien vu
les Anglais. Vous n’avez point à vous hâter de les combattre, et vous ne perdez
rien à vous reposer un peu. Car, placés comme ils sont, ils ne peuvent vous
fuir, ni vous échapper. Je pense en vérité que vous les pourrez avoir sans coup
férir. Aussi je vous prie que vous leur accordiez répit jusques à demain, au
soleil levant. »
Sans coup férir… J’en vis plusieurs,
comme le comte Jean d’Artois, Douglas, Tancarville lui-même, qui bronchèrent
sous le mot et secouèrent le col. Ils avaient envie de férir. J’insistai :
« Sire, n’accordez rien si vous le voulez à votre ennemi, mais accordez son
jour à Dieu. »
Le connétable et le maréchal de
Clermont penchaient pour cette suspension d’armes… « Attendons de savoir,
Sire, ce que l’Anglais propose et ce que nous en pouvons exiger ; nous n’y
risquons rien… » En revanche, Audrehem, oh ! simplement parce que, Clermont
étant d’un avis, il était de l’autre… disait assez haut pour que je
l’entendisse : « Sommes-nous donc là pour batailler ou pour écouter
prêche ? » Eustache de Ribemont, parce que sa disposition de combat
avait été adoptée par le roi, et qu’il était tout énervé de la voir en œuvre,
poussait à l’engagement immédiat.
Et Chauveau, le comte-évêque de
Châlons qui portait heaume en forme de mitre, peint en violet, le voilà soudain
qui s’agite et presque s’emporte.
« Est-ce le devoir de l’Église,
messire cardinal, que de laisser des pillards et des parjures s’en repartir
sans châtiment ? » Là, je me fâche un peu. « Est-ce le devoir
d’un serviteur
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