Quand un roi perd la France
bataille, et même quand on y fut. Surtout
lorsqu’elle se déroule aussi confusément que celle de Maupertuis… Elle me fut
contée, quelques heures après, de vingt façons différentes, chacun ne la
jugeant que de sa place et ne prenant pour important que ce qu’il avait fait.
Particulièrement les battus qui, à les entendre, ne l’eussent jamais été sans
la faute de leurs voisins, lesquels en disaient tout autant.
Ce qui ne peut être mis en doute,
c’est que, aussitôt après mon départ du camp français, les deux maréchaux se
prirent de bec. Le connétable, duc d’Athènes, ayant demandé au roi s’il lui
plaisait d’ouïr son conseil, lui dit à peu près ceci : « Sire, si
vous voulez vraiment que les Anglais se rendent à votre merci, que ne les
laissez-vous s’épuiser par défaut de vivres ? Car leur position est forte,
mais ils ne la soutiendront guère quand ils auront le corps faible. Ils sont de
toute part encerclés, et s’ils tentent sortie par la seule issue où nous
pouvons nous-mêmes les forcer, nous les écraserons sans peine. Puisque nous
avons attendu une journée, que ne pouvons-nous attendre encore une ou deux
autres, d’autant qu’à chaque moment nous nous grossissons des retardataires qui
rejoignent ? » Et le maréchal de Clermont d’appuyer : « Le
connétable dit bien. Un peu d’attente nous donne tout à gagner, et rien à
perdre. »
C’est alors que le maréchal
d’Audrehem s’emporta. Atermoyer, toujours atermoyer ! On devrait en avoir
terminé depuis la veille au soir. « Vous ferez tant que vous finirez par
les laisser échapper, comme souvent il advint. Regardez-les qui bougent. Ils
descendent vers nous pour se fortifier plus bas et se ménager refuite. On
dirait, Clermont, que vous n’avez pas grand-hâte de vous battre, et qu’il vous
peine de voir les Anglais de si près. »
La querelle des maréchaux, il
fallait bien qu’elle éclatât. Mais était-ce le moment le mieux choisi ?
Clermont n’était pas homme à prendre si gros outrage en plein visage. Il
renvoya, comme à la paume : « Vous ne serez point si hardi
aujourd’hui, Audrehem, que vous mettiez le museau de votre cheval au cul du
mien. »
Là-dessus il rejoint les chevaliers
qu’il doit entraîner à l’assaut, se fait hisser en selle, et donne de lui-même
l’ordre d’attaquer. Audrehem l’imite aussitôt, et avant que le roi n’ait rien
dit, ni le connétable rien commandé, voici la charge lancée, non point groupée
comme il en avait été décidé, mais en deux escadrons séparés qui semblent moins
se soucier de rompre l’ennemi que de se distancer ou de se poursuivre. Le
connétable à son tour demande son destrier et s’élance, cherchant à les
rameuter.
Alors le roi fait crier l’attaque
pour toutes les bannières ; et tous les hommes d’armes, à pied, patauds,
alourdis des cinquante ou soixante livres de fer qu’ils ont sur le dos,
commencent à s’avancer dans les champs vers le chemin pentu où déjà la
cavalerie s’engouffre. Cinq cents pas à franchir…
Là-haut, le prince de Galles, quand
il a vu la charge française s’ébranler, s’est écrié : « Mes beaux
seigneurs, nous sommes petit nombre, mais ne vous en effrayez pas. La vertu ni
la victoire ne vont forcément à grand peuple, mais là où Dieu veut les envoyer.
Si nous sommes déconfits, nous n’en aurons point de blâme, et si la journée est
pour nous, nous serons les plus honorés du monde. »
Déjà la terre tremblait au pied de
la colline ; les archers gallois se tenaient genou en terre derrière leurs
pieux pointus, et les premières flèches se mirent à siffler…
Tout d’abord le maréchal de Clermont
fonça sur la bannière de Salisbury, se ruant dans la haie pour s’y faire
brèche. Une pluie de flèches brisa sa charge. Ce fut une tombée atroce, au dire
de ceux qui en ont réchappé. Les chevaux qui n’avaient pas été atteints
allaient s’empaler sur les pieux pointus des archers gallois. De derrière la
palissade, les courtilliers et bidaux surgissaient avec leurs gaudendarts, ces
terribles armes à trois fins dont le croc saisit le chevalier par la chemise de
mailles, et parfois par la chair, pour le jeter à bas de sa monture… dont la
pointe disjoint la cuirasse à l’aine ou à l’aisselle quand l’homme est à terre,
dont le croissant enfin sert à fendre le heaume… Le maréchal de Clermont fut
des premiers tués, et presque personne
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