Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
l’évêque Chauveau. Ils jurent, et puis renient leur parole. »
    Je répliquai qu’ils auraient peine à
renier un engagement pris par-devant le légat papal ; je serais signataire
à la convention.
    « Je vous donnerai réponse au
soleil levant », dit le roi.
    Et je m’en allai loger à l’abbaye de
Maupertuis. Jamais je n’avais tant chevauché dans une même journée, ni tant
discuté. Si recru de fatigue que je fusse, je pris le temps de bien prier, de
tout mon cœur. Je me fis éveiller à la pointe du jour. Le soleil commençait
juste à jaillir quand je me présentai derechef devant le tref du roi Jean. Au
soleil levant, aurait-il dit. On ne pouvait être plus exact que moi. J’eus une
mauvaise impression. Toute l’armée de France était sous les armes, en ordre de
bataille, à pied, sauf les trois cents désignés pour la charge, et n’attendant
que le signal d’attaquer.
    « Monseigneur cardinal, me
déclare brièvement le roi, je n’accepterai de renoncer au combat que si le
prince Édouard et cent de ses chevaliers, à mon choix, se viennent mettre en ma
prison. – Sire, c’est là demande trop grosse et contraire à
l’honneur ; elle rend inutiles tous nos pourparlers d’hier. J’ai pris
suffisante connaissance du prince de Galles pour savoir qu’il ne la considérera
même pas. Il n’est pas homme à capituler sans combattre, et à venir se livrer
en vos mains avec la fleur de la chevalerie anglaise, dût ce jour être pour lui
le dernier. Le feriez-vous, ou aucun de vos chevaliers de l’Étoile, si vous en
étiez en sa place ? – Certes non !
    — Alors, Sire, il me paraît
vain que j’aille porter une requête avancée seulement pour qu’elle soit
repoussée. – Monseigneur cardinal, je vous sais gré de vos offices ;
mais le soleil est levé. Veuillez vous retirer du champ. »
    Derrière le roi, ils se regardaient
par leur ventaille, et échangeaient sourires et clins d’œil, l’évêque Chauveau,
Jean d’Artois, Douglas, Eustache de Ribemont et même Audrehem et bien sûr
l’Archiprêtre, aussi contents, semblait-il, d’avoir fait échec au légat du pape
qu’ils le seraient d’aplatir les Anglais.
    Un instant, je balançai, tant la
colère me montait au nez, à lâcher que j’avais pouvoir d’excommunication. Mais
quoi ? Quel effet cela aurait-il eu ? Les Français seraient tout de
même partis à l’attaque, et je n’aurais gagné que de mettre en plus grande
évidence l’impuissance de l’Église. J’ajoutai seulement : « Dieu
jugera, Sire, lequel de vous deux se sera montré le meilleur chrétien. »
    Et je remontai, pour la dernière
fois, vers les boqueteaux. J’enrageais. « Qu’ils crèvent tous, ces
fous ! me disais-je en galopant. Le Seigneur n’aura pas besoin de les
trier ; ils sont tous bons pour sa fournaise. »
    Arrivé devant le prince de Galles,
je lui dis : « Beau fils, faites ce que vous pourrez ; il vous
faut combattre. Je n’ai pu trouver nulle grâce d’accord avec le roi de
France. – Nous battre est bien notre intention, me répondit le prince. Que
Dieu m’aide ! »
    Là-dessus, je m’en repartis, fort
amer et dépité, vers Poitiers. Or ce fut le moment que choisit mon neveu de
Durazzo pour me dire : « Je vous prie de me relever de mon service,
mon oncle. Je veux aller combattre. – Et avec qui ? lui criai-je.
    — Avec les Français, bien
sûr !
    — Tu ne les trouves donc pas
assez nombreux ?
    — Mon oncle, comprenez qu’il va
y avoir bataille, et il n’est pas digne d’un chevalier de n’y pas prendre part.
Et messire de Heredia vous en prie aussi… »
    J’aurais dû le tancer bien fort, lui
dire qu’il était requis par le Saint-Siège pour m’escorter dans ma mission de
paix, et que, tout au contraire d’acte de noblesse, ce pourrait être regardé
comme une forfaiture d’avoir rejoint l’un des deux partis. J’aurais dû lui
ordonner, simplement, de rester… Mais j’étais las, j’étais irrité. Et d’une
certaine façon, je le comprenais. J’aurais eu envie de prendre une lance, moi
aussi et de charger je ne sais trop qui, l’évêque Chauveau… Alors je lui
criai : « Allez au Diable, tous les deux ! Et grand bien vous
fasse ! » C’est la dernière parole que j’adressai à mon neveu Robert.
Je me la reproche, je me la reproche bien fort…
     

VII

LA MAIN DE DIEU
    C’est chose bien malaisée, quand on
n’y fut pas, que de reconstituer une

Weitere Kostenlose Bücher