Quand un roi perd la France
seront versées aux
registres de la papauté pour n’en sortir jamais, comme il est de règle. Mais
vous serez là, Archambaud, qui pourrez, au moins sur les affaires de France,
dire ce que vous savez, et rendre justice à ma mémoire si certains, comme je ne
doute pas que le ferait le Capocci… Dieu veuille seulement me garder sur terre
un jour de plus que lui… entreprenaient d’y attenter.
Donc, très vite après le traité de
Mantes où il s’était montré si inexplicablement généreux à l’endroit de son
gendre, le roi Jean accusa ses négociateurs, Robert Le Coq, Robert de Lorris et
même l’oncle de sa femme, le cardinal de Boulogne, de s’être laissé acheter par
Charles de Navarre.
Soit dit entre nous, je crois qu’il
n’était pas hors de la vérité. Robert Le Coq est un jeune évêque brûlé
d’ambition, qui excelle à l’intrigue, qui s’en délecte, et qui a très vite
aperçu l’intérêt qu’il pouvait avoir à se rapprocher du Navarrais, au parti
duquel d’ailleurs, depuis sa brouille avec le roi, il s’est ouvertement rallié.
Robert de Lorris, le chambellan, est certainement dévoué à son maître ;
mais il est d’une famille de banque où l’on ne résiste jamais à rafler quelques
poignées d’or au passage. Je l’ai connu, ce Lorris, quand il est venu en
Avignon, voici dix ans à peu près, négocier l’emprunt de trois cent mille florins
que le roi Philippe VI fit au pape d’alors. Je me suis, pour ma part,
contenté honnêtement de mille florins pour l’avoir abouché avec les banquiers
de Clément VI, les Raimondi d’Avignon et les Mattei de Florence ;
mais lui, il s’est plus largement servi. Quant à Boulogne, tout parent qu’il
est au roi…
J’entends bien qu’il est constant
que nous soyons, nous, cardinaux, justement récompensés de nos interventions au
profit des princes. Nous ne pourrions autrement suffire à nos charges. Je n’ai
jamais fait secret, et même j’en tire honneur, d’avoir reçu vingt-deux mille
florins de ma sœur de Durazzo pour le soin que j’ai pris, il y a vingt ans…
déjà vingt ans !… de ses affaires ducales qui étaient bien compromises. Et
l’an dernier, pour la dispense nécessaire au mariage de Louis de Sicile avec
Constance d’Avignon, j’ai été remercié par cinq mille florins. Mais jamais je
n’ai rien accepté que de ceux qui remettaient leur cause à mon talent ou à mon
influence. La déshonnêteté commence quand on se fait payer par l’adversaire. Et
je pense bien que Boulogne n’a pas résisté à cette tentation. Depuis lors,
l’amitié est fort refroidie entre lui et Jean II.
Lorris, après un peu d’éloignement,
est rentré en grâce, comme il en va toujours avec les Lorris. Il s’est jeté aux
pieds du roi, le dernier Vendredi saint, a juré de sa parfaite loyauté, et
rejeté toutes duplicités ou complaisances sur le dos de Le Coq, lequel est
demeuré dans la brouille et banni de la cour.
C’est chose avantageuse que de
désavouer les négociateurs. On peut en prendre argument pour ne pas exécuter le
traité. Ce que le roi ne se priva point de faire. Quand on lui représentait
qu’il eût pu mieux contrôler ses députés, et céder moins qu’il ne l’avait fait,
il répondait, irrité : « Traiter, débattre, argumenter ne sont point
affaires de chevalier. » Il a toujours affecté de tenir en mépris la
négociation et la diplomatique, ce qui lui permet de renier ses obligations.
En fait, il n’avait tant promis que
parce qu’il escomptait bien ne rien tenir.
Mais, dans le même temps, il
environnait son gendre de mille courtoisies feintes, le voulant sans cesse
auprès de lui à la cour, et non seulement lui, mais son cadet, Philippe, et
même le puîné, Louis, qu’il insistait fort à faire revenir de Navarre. Il se
disait le protecteur des trois frères et engageait le Dauphin à leur prodiguer
amitié.
Le Mauvais ne se soumettait pas sans
arrogance à tant d’excessives prévenances, tant d’incroyable sollicitude,
allant jusqu’à dire au roi, en pleine table : « Avouez que je vous ai
rendu bon service en vous débarrassant de Charles d’Espagne, qui voulait tout
régenter au royaume. Vous ne le dites point, mais je vous ai soulagé. »
Vous imaginez combien le roi Jean goûtait de telles gentillesses.
Et puis un jour de l’été qu’il y
avait fête au palais, et que Charles de Navarre s’y rendait en compagnie de ses
frères, il vit venir à
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