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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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lui, se hâtant, le cardinal de Boulogne qui lui
dit : « Rebroussez chemin et rentrez en votre hôtel, si vous tenez à
la vie. Le roi a résolu de vous faire occire tout à l’heure, les trois que vous
êtes, pendant la fête. »
    La chose n’était point imaginaire,
ni déduite de vagues rumeurs. Le roi Jean en avait décidé ainsi, le matin même,
dans son Conseil étroit auquel Boulogne assistait… « J’ai attendu pour ce
faire que les trois frères fussent assemblés, car je veux qu’on les occise tous
les trois afin qu’il ne reste plus rejetons mâles de cette mauvaise
race. »
    Pour ma part, je ne blâme point
Boulogne d’avoir averti les Navarre, même si cela devait accréditer qu’il leur
était vendu. Car un prêtre de la sainte Église… et qui plus est un membre de la
curie pontificale, un frère du pape dans le Seigneur… ne peut entendre de
sang-froid qu’on va perpétrer un triple meurtre, et accepter qu’il
s’accomplisse sans rien avoir tenté. C’était s’y laisser associer, en quelque
sorte, par le silence. Qu’avait donc le roi Jean besoin de parler devant
Boulogne ? Il n’avait qu’à aposter ses sergents… Mais non, il s’est cru
habile. Ah ! ce roi-là quand il veut faire le finaud ! Il n’a jamais
su voir trois coups d’échecs en avant. Sans doute pensait-il que lorsque le
pape lui ferait remontrance d’avoir ensanglanté son palais, il aurait beau jeu
de répondre : « Mais votre cardinal était là, qui ne m’a point
désapprouvé. » Boulogne n’est pas perdreau de la dernière couvée, qu’on
amène à donner dans de si gros panneaux.
    Charles de Navarre, ainsi averti, se
retira donc très hâtivement vers son hôtel où il fit apprêter son escorte. Le
roi Jean, ne voyant point paraître les trois frères à sa fête, les envoya
quérir, fort impérativement. Mais son messager ne reçut pour réponse que le pet
des chevaux, car juste à ce moment les Navarre tournaient bride vers la
Normandie.
    Le roi Jean entra alors dans un vif
courroux où il cacha son dépit en faisant l’offensé. « Voyez ce mauvais
fils, ce félon qui se refuse à l’amitié de son roi et qui de lui-même s’exile
de ma cour ! Il doit avoir à celer de bien méchants desseins. »
    Et de cela il prit prétexte pour
proclamer qu’il suspendait l’effet du traité de Mantes, qu’il n’avait jamais
commencé d’exécuter.
    Ce qu’apprenant, Charles renvoya son
frère Louis en Navarre et dépêcha son frère Philippe en Cotentin afin d’y lever
des troupes, lui-même ne restant guère à Évreux. Car dans le même temps notre
Saint-Père, le pape Innocent, avait décidé d’une conférence en Avignon… la
troisième, la quatrième, ou plutôt la même toujours recommencée… entre les
envoyés des rois de France et d’Angleterre pour négocier, non plus d’une trêve
reconduite, mais d’une paix vraie et définitive. Innocent voulait cette fois,
disait-il, mener à succès l’œuvre de son prédécesseur et il se flattait de
réussir là où Clément VI avait échoué. La présomption, Archambaud, se loge
même au cœur des pontifes…
    Le cardinal de Boulogne avait
présidé les négociations antérieures ; Innocent le reconduisit en cet
office. Boulogne avait toujours été suspect, comme je l’étais également, au roi
Édouard d’Angleterre qui l’estimait trop proche des intérêts de la France. Or,
depuis le traité de Mantes et la fuite de Charles le Mauvais, il était suspect
aussi au roi Jean. À cause de cela peut-être, Boulogne mena la rencontre mieux
qu’on ne l’attendait ; il n’avait personne à ménager. Il s’entendit assez
bien avec les évêques de Londres et de Norwich et surtout avec le duc de
Lancastre, qui est un bon homme de guerre et un seigneur véritable. Et
moi-même, en retrait, je mis la main à l’œuvre. Le petit Navarrais dut avoir
vent…
    Ah ! voici la braise !
Brunet, glisse le pot sous mes robes. Il est bien clos au moins, que je ne
m’aille pas brûler ! Oui, cela va bien…
    Donc Charles de Navarre dut avoir
vent que l’on progressait vers la paix, ce qui certes n’eût pas arrangé ses
affaires, car un beau jour de novembre… il y a tout juste deux ans… le voilà
qui surgit en Avignon, où nul ne l’attendait.
    C’est en cette occasion que je le
vis pour la première fois. Vingt-quatre ans, mais n’en paraissant pas plus de
dix-huit à cause de sa petite taille, car il est bref, vraiment très

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