Quand un roi perd la France
bref, le
plus petit des rois d’Europe ; mais si bien pris dans sa personne, si
droit, si leste, si vif que l’on ne songe pas à s’aviser de ce défaut. Avec
cela un charmant visage que ne dépare point un nez un peu fort, de beaux yeux
de renard, aux coins déjà plissés en étoile par la malice. Son dehors est si
affable, ses façons si polies et légères à la fois, sa parole si aisée,
coulante et imprévue, il est si prompt au compliment, il passe si prestement de
la gravité à la badinerie et de l’amusaille au grand sérieux, enfin il paraît
si disposé à montrer de l’amitié aux gens que l’on comprend que les femmes lui
résistent si peu, et que les hommes se laissent si bien embobeliner par lui.
Non, vraiment, je n’ai jamais ouï plus vaillant parleur que ce petit
roi-là ! On oublie, à l’entendre, la mauvaiseté qui se cache sous tant de
bonne grâce, et qu’il est déjà bien endurci dans le stratagème, le mensonge et
le crime. Il a un primesaut qui le fait pardonner de ses noirceurs secrètes.
Son affaire, quand il parut en
Avignon, n’était pas des meilleures. Il était en insoumission au regard du roi
de France qui s’employait à saisir ses châteaux, et il avait fort blessé le roi
d’Angleterre en signant le traité de Mantes sans même l’en avertir.
« Voilà un homme qui m’appelle à son aide, et me propose bonne entrée en Normandie.
Je fais mouvoir pour lui mes troupes de Bretagne ; j’en apprête d’autres à
débarquer ; et quand il s’est rendu assez fort, par mon appui, pour
intimider son adversaire, il traite avec lui sans m’en prévenir… À présent,
qu’il s’adresse à qui bon lui plaira ; qu’il s’adresse au pape… » Eh
bien, c’était justement au pape que Charles de Navarre venait s’adresser. Et
après une semaine, il avait retourné tout le monde en sa faveur.
En présence du Saint-Père, et devant
plusieurs cardinaux dont j’étais, il jure qu’il ne veut rien tant qu’être
réconcilié avec le roi de France, y mettant tout le cœur qu’il faut pour que
chacun le croie. Auprès des délégués de Jean II, le chancelier Pierre de
La Forêt et le duc de Bourbon, il va même plus loin, leur laissant entendre
que, pour prix de la bonne amitié qu’il veut restaurer, il pourrait aller lever
des troupes en Navarre afin d’attaquer les Anglais en Bretagne ou sur leurs
propres côtes.
Mais dans les jours suivants, ayant
fait mine de sortir de la ville avec son escorte, il y revient de nuit,
plusieurs fois et à la dérobée, pour conférer avec le duc de Lancastre et les
émissaires anglais. Il abritait ses secrètes rencontres tantôt chez Pierre
Bertrand, le cardinal d’Arras, tantôt chez Guy de Boulogne lui-même. J’en ai d’ailleurs
fait reproche plus tard à Boulogne, qui tirait un peu trop sa paille aux deux
mangeoires. « Je voulais savoir ce qu’ils manigançaient, m’a-t-il répondu.
En prêtant ma maison, je pouvais les faire écouter par mes espies. » Ses
espies devaient être fort sourds, car il n’a rien su du tout, ou feint de ne
rien savoir. S’il n’était pas dans la connivence, alors c’est que le roi de
Navarre lui a tiré le mouchoir de dessous le nez.
Moi, j’ai su. Et vous plaît-il de
connaître, mon neveu, comment Navarre s’y prit pour se gagner Lancastre ?
Eh bien ! il lui proposa tout fièrement de reconnaître le roi Édouard
d’Angleterre pour roi de France. Rien moins que cela. Ils allèrent même si
avant en besogne qu’ils projetèrent un traité de bonne alliance.
Premier point : Navarre, donc,
eût reconnu en Édouard le roi de France. Second point : ils convenaient de
conduire ensemble la guerre contre le roi Jean. Troisième point : Édouard
reconnaissait à Charles de Navarre le duché de Normandie, la Champagne, la
Brie, Chartres, et aussi la lieutenance du Languedoc, en plus, bien sûr, de son
royaume de Navarre et du comté d’Évreux. Autant dire qu’ils se partageaient la
France. Je vous passe le reste.
Comment ai-je eu connaissance de ce
projet ? Ah ! je puis vous dire qu’il fut noté de la propre main de
l’évêque de Londres qui accompagnait messire de Lancastre. Mais ne me demandez
point qui m’en a instruit un peu plus tard. Souvenez-vous que je suis chanoine
de la cathédrale d’York et que, si mal en cour que je sois outre-manche, j’y ai
conservé quelques intelligences.
Point n’est besoin de vous assurer
que si l’on avait eu d’abord
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