Quand un roi perd la France
quelques chances de progresser vers une paix entre
la France et l’Angleterre, elles furent toutes minées par le passage du
sémillant petit roi.
Comment les ambassadeurs
auraient-ils voulu plus avant s’accorder quand chacune des deux parties se
croyait encouragée à la guerre par les promesses de Monseigneur de
Navarre ? À Bourbon, il disait : « Je parle à Lancastre, mais je
lui mens pour vous servir. » Puis il venait chuchoter à Lancastre :
« Certes, j’ai vu Bourbon, pour le tromper. Je suis votre homme. » Et
l’admirable, c’est que les deux le croyaient.
Si bien que lorsque vraiment il
s’éloigna d’Avignon pour gagner les Pyrénées, des deux côtés on était
convaincu, tout en prenant bien soin de n’en rien dire, de voir partir un ami.
La conférence entra dans
l’aigreur ; on ne se concédait plus rien. Et la ville entra dans la
torpeur. Pendant trois semaines on n’avait rien fait que de s’occuper de
Charles le Mauvais. Le pape lui-même surprit en redevenant morose et
geignard ; le méchant charmeur un moment l’avait distrait…
Ah ! me voilà réchauffé. À
vous, mon neveu ; tirez le pot de braise devers vous, et vous dégourdissez
un peu.
X
LA MAUVAISE ANNÉE
Vous dites bien, vous dites bien,
Archambaud, et je ressens comme vous. Voilà dix jours seulement que nous sommes
partis de Périgueux, et c’est comme si nous courions depuis un mois. Le voyage
allonge le temps. Ce soir nous coucherons à Châteauroux. Je ne vous cache point
que je ne serai pas fâché, demain, d’arriver à Bourges, si Dieu le veut, et de
m’y reposer, trois grands jours pour le moins, et peut-être quatre. Je commence
à être un peu las de ces abbayes où l’on nous sert maigre chère et où l’on
bassine à peine mon lit, pour bien me donner à entendre qu’on est ruiné par le
passage de la guerre. Qu’ils ne croient pas, ces petits abbés, que c’est en me
faisant jeûner et dormir au vent coulis qu’ils gagneront d’être exemptés de
finances !… Et puis les hommes d’escorte ont besoin de repos, eux aussi,
et de réparer les harnois, et de sécher leurs habits. Car cette pluie n’arrange
rien. À écouter mes bacheliers éternuer autour de ma litière, je gage que plus
d’un va occuper son séjour de Bourges à se soigner à la cannelle, à la girofle
et au vin chaud. Pour moi, je ne pourrai guère muser. Dépouiller le courrier
d’Avignon, dicter mes missives en retour…
Peut-être vous surprenez-vous,
Archambaud, des paroles d’impatience qu’il m’arrive de laisser échapper au
sujet du Saint-Père. Oui, j’ai le sang vif, et montre un peu trop mes dépits.
C’est qu’il m’en donne gros à mâcher. Mais croyez que je ne me prive guère de
lui remontrer à lui-même ses sottises. Et c’est plus d’une fois qu’il m’est
arrivé de lui dire : « Veuille la grâce de Dieu, Très Saint-Père,
vous éclairer sur la bourde que vous venez de commettre. »
Ah ! si les cardinaux français
ne s’étaient pas soudain butés sur l’idée qu’un homme né comme nous le sommes
ne convenait point… l’humilité, il fallait être né dans l’humilité… et que
d’autre part les cardinaux italiens, le Capocci et les autres, avaient été
moins obstinés sur le retour du Saint-Siège à Rome… Rome, Rome ! Ils ne
voient que leurs États d’Italie ; le Capitole leur cache Dieu.
Ce qui m’enrage le plus, chez notre
Innocent, c’est sa politique à l’endroit de l’Empereur. Avec Pierre Roger, je
veux dire Clément VI, nous nous sommes arc-boutés six ans pour que
l’Empereur ne fût point couronné. Qu’il fût élu, fort bien. Qu’il gouvernât,
nous y consentions. Mais il fallait conserver son sacre en réserve tant qu’il
n’aurait pas souscrit aux engagements que nous voulions qu’il prît. Je savais
trop bien que cet Empereur-là, au lendemain de l’onction, nous causerait
déboires.
Là-dessus, notre Aubert coiffe la
tiare et commence à chantonner : « Concilions, concilions. » Et
au printemps de l’année passée, il parvient à ses fins. « L’Empereur
Charles IV sera couronné ; je l’ordonne ! », finit-il par
me dire. Le pape Innocent est de ces souverains qui ne se découvrent d’énergie
que pour battre en retraite. Nous avons foison de ces gens-là. Il imaginait
avoir remporté grande victoire parce que l’Empereur s’était engagé à n’entrer
dans Rome que le matin du sacre pour en ressortir le
Weitere Kostenlose Bücher