Quand un roi perd la France
se serait fort ennuyé
à vivre, le roi Édouard, s’il n’avait pas été désigné par la Providence pour ce
qu’il était le plus apte à faire : gouverner. Oui, il aurait eu peu
d’intérêt à durer, à vieillir, à regarder la mort venir s’il n’avait pas eu à
arbitrer les passions des autres, et à leur désigner des buts qui les aident à
s’oublier. Car les hommes ne trouvent d’honneur et de prix à vivre que s’ils
vouent leurs actes et leurs pensées à quelque grande entreprise avec laquelle
ils puissent se confondre.
C’est cela qui l’a inspiré quand il
a créé à Calais son Ordre de la Jarretière, un Ordre qui prospère, et dont ce
pauvre Jean II, avec son Étoile, n’a produit qu’une pompeuse, d’abord, et
puis piteuse copie…
Et c’est encore à cette volonté de
grandeur que le roi Édouard répond quand il poursuit le projet, non avoué mais
visible, d’une Europe anglaise. Non pas qu’il songe à placer l’Occident
directement sous sa main, ni qu’il veuille conquérir tous les royaumes et les
mettre en servage. Non, il pense plutôt à un libre groupement de rois ou de
gouvernements dans lequel il aurait préséance et commandement, et avec lequel
non seulement il ferait régner la paix à l’intérieur de cette entente, mais
encore n’aurait plus rien à redouter du côté de l’Empire, si même il ne
l’englobait. Ni plus rien à devoir au Saint-Siège ; je le soupçonne de
nourrir secrètement cette intention-là… Il a déjà réussi avec les Flandres
qu’il a détachées de la France ; il intervient dans les affaires
d’Espagne ; il pousse des antennes en Méditerranée. Ah ! s’il avait
la France, vous imaginez, que ne ferait-il pas, que ne pourrait-il faire à
partir d’elle ! Son idée d’ailleurs n’est pas toute neuve. Le roi Philippe
le Bel, son grand-père, avait eu déjà un projet de paix perpétuelle pour unir
l’Europe.
Édouard se plaît à parler français
avec les Français, anglais avec les Anglais. Il peut s’adresser aux Flamands
dans leur langue, ce dont ils sont flattés et qui lui a valu maints succès
auprès d’eux. Avec les autres, il parle latin.
Alors, me direz-vous, un roi si
doué, si capable, et que la fortune accompagne, pourquoi ne pas s’accorder à
lui et favoriser ses prétentions sur la France ? Pourquoi tant faire afin
de maintenir au trône ce niais arrogant, né sous de mauvaises étoiles, dont la
Providence nous a gratifiés, sans doute pour éprouver ce malheureux
royaume ?
Eh ! mon neveu, c’est que la
belle entente à former entre les royaumes du couchant, nous la voulons bien,
mais nous la voulons française, je veux dire de direction et de prééminence
françaises. L’Angleterre, nous en avons conviction, s’éloignerait bien vite, si
elle était trop puissante, des lois de l’Église. La France est le royaume par
Dieu désigné. Et le roi Jean ne sera pas éternel.
Mais vous comprenez aussi,
Archambaud, pourquoi le roi Édouard soutient avec tant de constance ce Charles
le Mauvais qui l’a beaucoup trompé. C’est que la petite Navarre, et le gros
comté d’Évreux, sont pièces, non seulement dans son affaire avec la France,
mais dans son jeu d’assemblage de royaumes qui lui chemine en cervelle. Il faut
bien que les rois aussi aient un peu à rêver ! Bientôt après l’ambassade
de nos bonshommes Morbecque et Brévand, ce fut Monseigneur Philippe
d’Évreux-Navarre, comte de Longueville, qui vint lui-même en Angleterre. Blond,
de belle taille et de nature fière, Philippe de Navarre est aussi loyal que son
frère est fourbe ; ce qui fait que, par loyauté à ce frère, il en épouse,
mais de cœur convaincu, toutes les fourberies. Il n’a pas le grand talent de
parole de son aîné, mais il séduit par la chaleur de l’âme. Il plut fort à la
reine Philippa, qui dit qu’il ressemblait tout à fait à son époux, au même âge.
Ce n’est pas grande merveille ; ils sont cousins plusieurs fois.
Bonne reine Philippa ! Elle a
été une demoiselle ronde et rose qui promettait de devenir grasse comme souvent
les femmes du Hainaut. Elle a tenu promesse.
Le roi l’a aimée de bon amour. Mais
il a eu, l’âge venant, d’autres entraînements du cœur, rares, mais violents. Il
y eut la comtesse de Salisbury ; et à présent c’est Dame Alice Perrère, ou
Perrières, une suivante de la reine. Pour calmer son dépit, Philippa mange, et
elle devient de plus en plus
Weitere Kostenlose Bücher