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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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l’on s’étonne qu’il ait une santé si
fragile. Un sculpteur sur pierre travaille à fixer son image, pour son gisant.
Parce qu’il ne veut pas de statue debout : ostentation… Mais il accepte,
tout de même, d’avoir un tombeau.
    Il était dans un jour à se
complaindre. Il continua : « Chaque pape, mon frère, doit vivre, à sa
manière, la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La mienne est dans l’échec
de toutes mes entreprises. Depuis que la volonté de Dieu m’a hissé au sommet de
l’Église, je me sens les mains clouées. Qu’ai-je accompli, qu’ai-je réussi
durant ces trois années et demie ? »
    La volonté de Dieu, certes,
certes ; mais reconnaissons qu’elle a choisi de s’exprimer un peu à
travers ma modeste personne. Ce qui me permet quelque liberté avec le
Saint-Père. Mais il est des choses, malgré tout, que je ne peux pas lui dire.
Je ne puis lui dire, par exemple, que les hommes qui se trouvent investis d’une
autorité suprême ne doivent pas chercher à trop modifier le monde pour
justifier leur élévation. Il y a chez les grands humbles une forme sournoise
d’orgueil qui est souvent la cause de leurs échecs.
    Les projets du pape Innocent, ses
hautes entreprises, je les connais bien. Il y en a trois, qui se commandent
l’une l’autre. La plus ambitieuse : réunir les Églises latine et grecque,
sous l’autorité de la catholique, bien sûr ; ressouder l’Orient et
l’Occident, rétablir l’unité du monde chrétien. C’est le rêve de tout pape
depuis mille ans. Et j’avais, avec Clément VI, fort avancé les choses,
plus loin qu’elles ne le furent jamais, et, en tout cas, qu’elles ne le sont à
présent. Innocent a repris le projet à son compte et comme si l’idée lui était
venue, toute neuve, par Visitation du Saint-Esprit. Ne disputons point.
    Pour y parvenir, seconde entreprise,
et préalable à la première : réinstaller la papauté à Rome, parce que
l’autorité du pape sur les chrétiens d’Orient ne saurait être acceptée que si
elle s’exprime du haut du trône de saint Pierre. Constantinople, présentement
en défaillance, pourrait sans perdre l’honneur s’incliner devant Rome, non
devant Avignon. Là-dessus, vous le savez, je diffère tout à fait d’opinion. Le
raisonnement serait juste à condition que le pape lui-même ne s’expose pas à
être plus faible encore à Rome qu’il ne l’est en Provence…
    Or, pour rentrer à Rome, il fallait
d’abord, troisième dessein, se réconcilier avec l’Empereur. Ce qui fut
entrepris, par priorité. Voyons donc où nous en sommes de ces beaux projets… On
s’est hâté, contre mon conseil, de couronner l’empereur Charles, élu depuis
huit ans, et sur lequel nous avions barre tant que nous lui tenions haute la
dragée de son sacre. À présent, nous ne pouvons plus rien sur lui. Il nous a
remerciés par sa Bulle d’Or, que nous avons dû gober, perdant notre autorité
non seulement sur l’élection à l’Empire, mais encore sur les finances de
l’Église dans l’Empire. Ce n’est pas une réconciliation, c’est une
capitulation. Moyennant quoi, l’Empereur nous a généreusement laissé les mains
libres en Italie, c’est-à-dire nous a fait la grâce de nous permettre de les
poser dans un nid de frelons.
    En Italie, le Saint-Père a envoyé le
cardinal Alvarez d’Albornoz, qui est plus capitaine que cardinal, pour préparer
le retour à Rome. Albornoz a commencé par se cheviller à Cola di Rienzi, qui domina
Rome un moment. Né dans une taverne du Trastevere, ce Rienzi était un de ces
hommes du peuple à visage de César comme il en surgit de temps en temps là-bas,
et qui captivent les Romains en leur rappelant que leurs aïeux ont commandé à
tout l’univers. D’ailleurs, il se donnait pour fils d’empereur, s’étant
découvert bâtard d’Henri VII de Luxembourg, mais il resta seul de cet
avis. Il avait choisi le titre de tribun, il portait toge de pourpre, et
siégeait au Capitole, sur les ruines du temple de Jupiter. Mon ami Pétrarque le
saluait comme le restaurateur des antiques grandeurs de l’Italie. Ce pouvait
être un pion sur notre damier, mais à avancer avec discernement, et non pas en
misant tout notre jeu dessus. Il fut assassiné voici deux ans par les Colonna,
parce qu’Albornoz tardait à lui envoyer secours. Maintenant tout est à
reprendre ; et l’on n’a jamais été aussi loin de rentrer à Rome, où
l’anarchie est pire que

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