Quand un roi perd la France
convoqué son
ost ; mais il est accessible aux sentiments d’honneur chevaleresque et
chrétien. Vous avez du pouvoir sur lui. Si les deux rois renonçaient à se
combattre pour dépêcher ensemble partie de leurs forces vers Constantinople
afin qu’elle puisse rallier le giron de la seule Église, quelle gloire n’en
retireraient-ils pas ? Tentez de leur représenter cela, mon vénérable
frère ; montrez-leur qu’au lieu d’ensanglanter leurs royaumes, et
d’amasser les souffrances sur leurs peuples chrétiens, ils se rendraient dignes
des preux et des saints… »
Je répondis : « Très
Saint-Père, la chose que vous souhaitez sera la plus aisée du monde, aussitôt
que deux conditions auront été remplies : pour le roi Édouard, qu’il ait
été reconnu roi de France et sacré à Reims ; pour le roi Jean, que le roi
Édouard ait renoncé à ses prétentions et qu’il lui ait rendu l’hommage. Ces
deux choses accomplies, je ne vois plus d’obstacles… – Vous vous moquez de
moi, mon frère ; vous n’avez pas la foi. – J’ai la foi, Très
Saint-Père, mais je ne me sens pas capable de faire briller le soleil la nuit.
Cela dit, je crois de toute ma foi que si Dieu veut un miracle, il pourra
l’accomplir sans nous. »
Nous restâmes un moment sans parler,
parce qu’on déversait un chariot de moellons dans une cour voisine et qu’une
équipe de charpentiers s’était prise de bec avec les rouliers. Le pape
abaissait son grand nez, ses grandes narines, sa grande barbe. Enfin, il me
dit : « Au moins, obtenez d’eux qu’ils signent une nouvelle trêve.
Dites-leur bien que je leur interdis de reprendre les hostilités entre eux. Si
aucun prélat ou clerc s’oppose à vos efforts de paix, vous le privez de tous
ses bénéfices ecclésiastiques. Et rappelez-vous que si les deux rois persistent
à se faire la guerre, vous pouvez aller jusqu’à l’excommunication ; cela
est écrit dans vos instructions. L’excommunication et l’interdit. »
Après ce rappel de mes pouvoirs,
j’avais bien besoin de la bénédiction qu’il me donna. Car vous me voyez,
Archambaud, dans l’état où est l’Europe, excommunier les rois de France et
d’Angleterre ? Édouard aurait aussitôt libéré son Église de toute
obédience au Saint-Siège, et Jean aurait envoyé son connétable assiéger
Avignon. Et Innocent, qu’aurait-il fait, à votre avis ? Je vais vous le
dire. Il m’aurait désavoué, et levé les excommunications. Tout cela, ce
n’étaient que paroles.
Le lendemain donc, nous partîmes.
Trois jours plus tôt, le 18 juin,
les troupes du duc de Lancastre avaient débarqué à La Hague.
QUATRIÈME PARTIE
L’ÉTÉ DES DÉSASTRES
I
LA CHEVAUCHÉE NORMANDE
Tout ne peut être tout le temps
néfaste… Ah ! vous avez noté, Archambaud, que c’était l’une de mes
sentences favorites… Eh ! oui, au sein de tous les revers, de toutes les
peines, de tous les mécomptes, nous sommes toujours gratifiés de quelque bien
qui nous vient réconforter. Il suffit seulement de le savoir apprécier. Dieu
n’attend que notre gratitude pour nous prouver davantage sa mansuétude.
Voyez, après cet été calamiteux pour
la France, et bien décevant, je le confesse, pour mon ambassade, voyez comme
nous sommes favorisés par la saison, et le beau temps que nous avons pour
continuer notre voyage ! C’est un encouragement du ciel.
Je craignais, après les pluies que
nous eûmes en Berry, de rencontrer l’intempérie, la bourrasque et la froidure à
mesure que nous avancerions vers le nord. Aussi m’apprêtais-je à me calfeutrer
dans ma litière, à m’emmitoufler de fourrures et à nous soutenir de vin chaud.
Or voici tout le contraire ; l’air s’est adouci, le soleil brille, et ce
décembre est comme un printemps. Cela se voit parfois en Provence ; mais
je n’attendais pas pareille lumière qui ensoleille la campagne, pareille
tiédeur qui fait suer les chevaux sous les housses, pour nous accueillir à
notre entrée en Champagne.
Il faisait presque moins chaud, je
vous assure, quand j’arrivai à Breteuil en Normandie, au début de juillet, pour
y trouver le roi.
Car, parti d’Avignon le 21 du mois
de juin, j’étais le 12 juillet… ah ! bon, vous vous souvenez ; je
vous l’ai déjà dit… et le Capocci était malade… c’est cela… du train auquel je
l’avais mené…
Ce que le roi Jean faisait à
Breteuil ? Le siège, le siège du château, au
Weitere Kostenlose Bücher