Quand un roi perd la France
ne se met à table
qu’à la minuit.
Un soir je l’ai surpris, appuyé
contre une arche de la galerie ouverte, à soupirer devant son gave argenté et
son horizon de montagnes bleues : « Trop petit, trop petit… On
dirait, Monseigneur, que la Providence prend un plaisir malin, en faisant
rouler les dés, à les apparier à l’envers… »
Nous venions de parler de la France,
du roi de France, et je compris ce qu’il voulait me donner à entendre. Grand
homme souvent ne reçoit à gouverner que petite terre, alors qu’à l’homme faible
échoit le grand royaume. Et il ajouta : « Mais si petit que soit mon
Béarn, j’entends qu’il n’appartienne à personne qu’à lui-même. »
Ses lettres sont merveille. Il ne
manque à y inscrire aucun de ses titres : « Nous, Gaston III,
comte de Foix, vicomte de Béarn, vicomte de Lautrec, de Marsan et de Castillon… »
et quoi donc encore… ah, oui : « seigneur de Montesquieu et de
Montpezat… » et puis, et puis, entendez comme cela sonne :
« viguier d’Andorre et de Capsire… » et il signe seulement
« Fébus »… avec son F et son é, bien sûr, peut-être pour se
distinguer même d’Apollon… tout comme sur les châteaux et monuments qu’il
construit ou embellit, on voit gravé en hautes lettres : « Fébus l’a
fait. »
Il y a de l’outrance, certes, en son
personnage ; mais il faut se rappeler qu’il n’a que vingt-cinq ans. Pour
son âge, il a déjà montré beaucoup d’habileté. De même qu’il a montré son
courage ; il fut des plus vaillants à Crécy. Il avait quinze ans.
Ah ! j’omets de vous dire, si vous ne le savez : il est petit-neveu
de Robert d’Artois. Son grand-père épousa Jeanne d’Artois, la propre sœur de
Robert, laquelle, aussitôt après son veuvage, a marqué tant d’appétit pour les
hommes, mené vie si scandaleuse, causé tant d’embrouilles… et pourrait tant en
causer encore… mais si, elle vit toujours ; un peu plus de soixante ans,
et une belle santé… que son petit-fils, notre Phœbus, a dû la cloîtrer dans une
tour du château de Foix où il la fait garder bien étroitement. Ah ! c’est
un sang lourd que celui des d’Artois !
Et voilà l’homme dont La Forêt,
l’archevêque-chancelier, alors que tout devient contraire au roi Jean, obtient
qu’il vienne rendre l’hommage. Oh ! ne vous méprenez point. Phœbus a bien
réfléchi sa décision, et il n’agit, précisément, que pour protéger
l’indépendance de son petit Béarn. L’Aquitaine touchant à la Navarre, et
lui-même touchant aux deux, leur alliance, à présent patente, ne lui sourit
guère ; cela menace d’une grosse pesée ses courtes frontières. Il aimerait
bien se garantir du côté du Languedoc où il a eu maille à partir avec le comte
d’Armagnac, gouverneur du roi. Alors, rapprochons-nous de la France,
finissons-en de cette mésentente, et dans ce dessein, rendons l’hommage dû pour
notre comté de Foix. Bien sûr, Phœbus plaidera la libération de son beau-frère
Navarre, on en est convenu, mais pour la forme, pour la forme seulement, comme
si c’était le prétexte au rapprochement. Le jeu est fin. Phœbus pourra toujours
dire aux Navarre : « Je n’ai rendu l’hommage que dans l’intention de
vous servir. »
En une semaine, Gaston Phœbus
séduisit Paris. Il était arrivé avec une nombreuse escorte de gentilshommes,
des serviteurs à foison, vingt chars pour transporter sa garde-robe et son
mobilier, une meute splendide et une partie de sa ménagerie de bêtes fauves.
Tout ce cortège s’étirait sur un quart de lieue. Le moindre varlet était
splendidement vêtu, arborant la livrée de Béarn ; les chevaux étaient
caparaçonnés de velours de soie, comme les miens. Lourde dépense à coup sûr,
mais faite pour frapper les foules. Phœbus y avait réussi.
Les grands seigneurs se disputaient
l’honneur de le recevoir. Tout ce qui était notoire dans la ville, gens de
Parlement, d’université, de finance, et même gens d’Église, prenaient quelque
raison de le venir saluer dans l’hôtel que sa sœur Blanche, la reine-veuve, lui
avait ouvert pour le temps de son séjour. Les femmes voulaient le contempler,
entendre sa voix, lui toucher la main. Lorsqu’il se déplaçait dans la ville,
les badauds le reconnaissaient à sa chevelure d’or et s’agglutinaient aux
portes des boutiques d’argentiers ou de drapiers dans lesquelles il entrait. On
reconnaissait aussi
Weitere Kostenlose Bücher