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Quand un roi perd la France

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Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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ennemis… Et puis a-t-on idée de s’appeler
Phœbus ? » Et afin de mettre le roi vraiment en méchante humeur, il
lui bailla une mauvaise nouvelle. Friquet de Fricamps s’était évadé du Châtelet
grâce à l’ingéniosité de deux de ses domestiques. Les Navarrais narguaient le
pouvoir royal et retrouvaient un homme bien habile et bien dangereux…
    Cela fit qu’au souper qu’il offrit
la veille de l’hommage, le roi Jean se montra rogue et agressif, appelant
Phœbus : « Messire mon vassal » et lui demandant :
« Reste-t-il quelques hommes dans vos fiefs, après tous ceux qui vous
escortent dans ma ville ? »
    Et encore il lui dit :
« J’aimerais que vos troupes n’entrassent plus dans les terres où commande
Monseigneur d’Armagnac. »
    Fort surpris, car il était convenu
avec Pierre de La Forêt qu’on regarderait ces incidents comme effacés, Phœbus
répliqua : « Mes bannières, Sire mon cousin, n’auraient pas eu à
pénétrer en Armagnac si ce n’avait été pour y repousser celles qui venaient
attaquer chez moi. Mais dès lors que vous avez donné ordre que cessent les
incursions des hommes qui sont à Monseigneur d’Armagnac, mes chevaliers se
tiendront heureux sur leurs frontières. » Sur quoi le roi enchaîna :
« Je souhaiterais qu’ils se tinssent un peu plus près de moi. J’ai
convoqué l’ost à Chartres, pour marcher à l’Anglais. Je compte que vous serez
bien exact à le rejoindre avec les bannières de Foix et de Béarn.
    — Les bannières de Foix,
répondit Phœbus, seront levées ainsi que vassal le doit, aussitôt que je vous
aurai rendu l’hommage, Sire mon cousin. Et celles de Béarn suivront, s’il me
plaît. »
    Pour un souper d’accordement,
c’était réussi ! L’archevêque-chancelier, surpris et mécontent,
s’employait vainement à mettre un peu de baume. Bucy montrait visage de bois.
Mais dans le fond de soi, il triomphait. Il se sentait le vrai maître.
    Du roi de Navarre, le nom ne fut
même pas prononcé, bien que la reine Jeanne et la reine Blanche fussent
présentes.
    En sortant du palais, Ernauton
d’Espagne, l’écuyer géant, dit au comte de Foix… je n’étais pas dans leurs
bottes, mais c’est le sens de ce qui me fut rapporté : « J’ai bien
admiré votre patience. Si j’étais Phœbus, je n’attendrais point un nouvel
outrage, et je m’en repartirais sur-le-champ pour mon Béarn. » À cela
Phœbus répondit : « Et si j’étais Ernauton, c’est tout exactement le
conseil que je donnerais à Phœbus. Mais je suis Phœbus, et dois regarder avant
tout l’avenir de mes sujets. Je ne veux pas être celui qui rompt et paraître en
mon tort. J’épuiserai toutes chances d’accord, jusqu’aux limites de l’honneur.
Mais La Forêt, je le crains bien, m’a mené dans une embûche. À moins qu’un fait
que j’ignore, et qu’il ignore, ait retourné le roi. Nous verrons demain. »
    Et le lendemain, après messe, Phœbus
pénétra dans la grand-salle du palais. Six écuyers soutenaient la traîne de son
manteau, et pour une rare fois, il n’allait pas tête nue. C’est qu’il portait
couronne, or sur or. La chambre était tout emplie de chambellans, conseillers,
prélats, chapelains, maîtres du Parlement et grands officiers. Mais le premier
que remarqua Phœbus, ce fut le comte d’Armagnac, Jean de Forez, debout au plus
près du roi et comme appuyé au trône, faisant figure bien arrogante. De l’autre
côté, Bucy feignait de mettre ordre dans ses rôles de parchemin. Il en prit un
et lut, comme si c’eût été un tout ordinaire arrêt : « Messire, le
roi de France, mon seigneur, vous reçoit pour la comté de Foix et la vicomté de
Béarn que vous tenez de lui, et vous devenez son homme comme comte de Foix et
vicomte de Béarn selon les formes faites entre ses devanciers, rois de France,
et les vôtres. Agenouillez-vous. »
    Il y eut un temps de silence. Puis
Phœbus répondit d’une voix fort nette : « Je ne puis. »
    L’assistance marqua de la surprise,
sincère chez la plupart, feinte chez d’autres, avec un rien de plaisir. Ce
n’est pas si souvent qu’un incident survient dans une cérémonie d’hommage.
    Phœbus répéta : « Je ne
puis. » Et il ajouta bien clairement : « J’ai un genou qui
ploie : celui de Foix. Mais celui de Béarn ne peut ployer. »
    Alors le roi Jean parla, et sa voix
avait un ton de colère. « Je vous reçois et pour Foix et pour
Béarn. »

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