Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
Décidément, il
tenait grande place, l’Archiprêtre ! Et le roi s’arrêta, et toute sa
compagnie.
    « Sire, voici ceux de la
prévôté de Bracieux dans le bailliage de Blois, qui sont arrivés d’hier. Ils
sont piteux… » De sa masse d’armes, l’Archiprêtre désignait une
quarantaine de gueux dépenaillés, boueux, hirsutes. Ils n’étaient point rasés
depuis dix jours ; lavés, n’en parlons pas. La disparité de leurs
vêtements se fondait dans une couleur grisâtre de crasse et de terre.
Quelques-uns portaient des souliers crevés ; d’autres avaient les jambes
entourées seulement de mauvaises toiles, d’autres allaient pieds nus. Ils se
redressaient pour faire bonne figure ; mais leurs regards étaient inquiets.
Dame, ils n’attendaient pas de voir surgir devant eux le roi en personne,
entouré de sa rutilante escorte. Et les gueux de Bracieux se tassaient les uns
contre les autres. Les lames courbes et les piques à crocs de quelques vouges
ou gaudendarts pointaient au-dessus d’eux comme des épines hors d’un fagot
fangeux.
    « Sire, reprit l’Archiprêtre,
ils sont trente-neuf, alors qu’ils devraient se trouver cinquante. Huit ont des
gaudendarts, neuf sont pourvus d’une épée, dont une très mauvaise. Un seul
possède ensemble une épée et un gaudendart. L’un d’eux a une hache, trois ont
des bâtons et un autre n’est armé que d’un couteau à pointe ; les autres
n’ont rien du tout. »
    J’aurais eu envie de rire, si je ne
m’étais demandé ce qui poussait le roi à perdre ainsi son temps et celui de ses
maréchaux à compter des épées rouillées. Qu’il se fit voir une fois, soit,
c’était bonne chose. Mais chaque jour, chaque matin ? Et pourquoi m’avoir
convié à cette piètre montrée ?
    J’eus surprise alors d’entendre son
plus jeune fils, Philippe, s’écrier du ton faux qu’ont les jouvenceaux quand
ils veulent se poser en hommes mûris : « Ce n’est certes point avec
de telles levées que nous emporterons de grandes batailles. » Il n’a que
quatorze ans ; sa voix muait et il n’emplissait pas tout à fait sa chemise
de mailles. Son père lui caressa le front, comme s’il se félicitait d’avoir
donné naissance à un guerrier si avisé. Puis, s’adressant aux hommes de
Bracieux, il demanda : « Pourquoi n’êtes-vous pas mieux pourvus
d’armes ? Allons, pourquoi ? Est-ce ainsi qu’on se présente à mon
ost ? N’avez-vous pas reçu d’ordres de votre prévôt ? »
    Alors, un gaillard un peu moins
tremblant que les autres, peut-être bien celui qui portait la seule hache,
s’avança pour répondre : « Sire notre maître, le prévôt nous a
commandé de nous armer chacun selon notre état. On s’est pourvu comme on a pu.
Ceux qui n’ont rien, c’est que leur état ne leur permet pas mieux. »
    Le roi Jean se retourna vers le
connétable et les maréchaux, arborant cet air des gens qui sont satisfaits
quand, même à leur détriment, les choses leur donnent raison. « Encore un
prévôt qui n’a pas fait son devoir… Renvoyez-les, comme ceux de Saint-Fargeau,
comme ceux de Soissons. Ils paieront l’amende. Lorris, vous notez… »
    Car, ainsi qu’il me l’expliqua un
moment après, ceux qui ne se présentait pas à la montrée, ou y venaient sans
armes et ne pouvaient combattre, étaient tenus de payer rachat. « Ce sont
les amendes dues par tous ces piétons qui me fourniront le nécessaire pour
solder mes chevaliers. »
    Une belle idée qui avait dû lui être
glissée par Simon de Bucy, et qu’il avait faite sienne. Voilà pourquoi il avait
convoqué l’arrière-ban, et voilà pourquoi il comptait avec une sorte de
rapacité les détachements qu’il renvoyait dans leurs foyers. « Quel emploi
aurions-nous de cette piétaille ? me dit-il encore. C’est à cause de ses
troupes de pied que mon père a été battu à Crécy. La piétaille ralentit tout et
empêche de chevaucher comme il convient. »
    Et chacun l’approuvait, sauf, je
dois dire, le Dauphin, qui semblait avoir une réflexion sur le bout des lèvres
mais la garda pour lui.
    Était-ce à dire que de l’autre côté
du camp, du côté des bannières, des chevaux et des armures, tout allait à
merveille ? En dépit des convocations répétées, et malgré les beaux
règlements qui prescrivaient aux bannerets et capitaines d’inspecter deux fois
le mois, à l’improviste, leurs hommes, armes et montures afin d’être

Weitere Kostenlose Bücher