Quelque chose en nous de Michel Berger
Casabianca. L’idée a été reprise cent fois depuis : faire chanter de manière soignée, en studio, sous la supervision de Michel, les chansons des uns par les autres, impliquer ceux qui le sont déjà, comme Yves Simon, Jane Birkin, Bashung, Manset, Aubert, Lavilliers, Goldman, Le Forestier, et faire chanter emblématiquement « Imagine » par France. L’accueil est bienveillant, positif, mais l’énergie se diluera en chemin, et le projet restera englué dans les arcanes de ce show-business opulentqui n’aime rien tant que se regarder le nombril en courant vers la banque.
Le lundi 21 novembre 1988, Michel m’appelle, tout excité. Il jubile de ma « Chronique des tubes » du jour dans Libération, relatant les Victoires de la Musique du week-end. J’y regrettais que « Évidemment » n’ait pas été couronnée « Chanson de l’année », et les déclaraient, France et lui, « cocus de la cérémonie, même si France est récompensée au titre des 586 000 albums vendus à l’étranger grâce au succès européen de “Ella, elle l’a” ». Je m’y réjouissais également qu’elle ne soit pas venue pour rien, « veste blanche, bas noirs et talons hauts, s’entendre dédier “Your Song” par Elton John ». Il m’appellera régulièrement ainsi, lecteur attentif et avisé, fidèle, comme il l’est auditeur et téléspectateur. C’est l’époque où, des années après Jean-Marie Périer et ses chaussures de boxeur faites sur mesure, nous portons tous les deux des light wrestlers , chaussons de lutteur en cuir très fin fabriqués par un artisan du Village à New York, dont nous acquérons des paires les uns pour les autres, Michel (qui les préfère en blanc), Lionel Rotcage et moi (qui aimons mieux les noires). Il y aura des dîners rue de Monceau, que je fais suivre de lettres de château, des rencontres dans les locaux de Rolling Stone France que Lionel vient de lancer, où j’émarge au comité de rédaction, des émissions, des interviews, pour la radio, la presse, la télévision, entre deux voyages, car Michel voyage comme jamais.
Cela ne l’empêche pas de rendre visite à sa mère, toujours installée au 32, boulevard de Courcelles où Marcel Ichou a son cabinet, au premier étage. Il la décrit « acariâtre, dépressive, jouant du piano mais ne donnant plus de cours. Michel et les enfants viennent souvent la visiter. Je n’ai jamais vu France.Les rapports familiaux apparaissaient très compliqués. Michel n’était pas du tout le même en famille. Il semblait toujours inquiet, anxieux, comme s’il lui fallait se hisser au niveau des exigences familiales. » Pour Grégoire Colart, Michel vit alors « dans une détresse intime permanente. Il vit le désir de France de s’arrêter de chanter comme la pire des trahisons. Leur relation commence à dégénérer. » Romano Musumarra, le compositeur italien des tubes de Jeanne Mas et de nombreuses musiques de films, qui écrit alors un album pour Régine, la mère de Lionel Rotcage, dîne un soir avec France, Michel et lui à Saint-Tropez. Il confirme que le couple est alors « assez tendu ». Il est bluffé par la culture de Michel, sa curiosité, sa gentillesse, son attention. Son enthousiasme juvénile aussi, au point qu’il dit de lui « ce garçon », plutôt que « cet homme ». Le lendemain, il leur rend visite dans leur maison des confins de Capon et du Pinet, sa vue magnifique, sa piscine, son cours de tennis en contrebas…
Michel part s’isoler au Danemark en septembre 1989 pour tenter de réenregistrer un album au studio PUK (les Kinks, Depeche Mode, George Michael sont clients, comme Elton John qui vient d’y réaliser Sleeping With the Past ), dans une ferme proche de Randers, en pleine campagne du Judland, « avec les vaches », dit Pérathoner, qui est de l’aventure avec Janik Top et Claude Salmieri, « plus des Américains ». De Los Angeles, bookés par Philippe Rault : le Canadien Robbie Buchanan, claviériste de séances et arrangeur pour Diana Ross et Whitney Houston, ainsi que le guitariste favori de David Foster, Michael Thompson, également membre de Animal Logic avec Stewart Copeland et Stanley Clarke. « Il abordait ce projet avec un bon nombre de points d’interrogation artistiques, se souvient Rault, et plus généralement sur lepositionnement de sa carrière vis-à-vis des nombreux projets extérieurs dans lesquels il semblait se jeter à corps perdu, avec un boulimisme de travail aveugle. » Mais
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