Quelque chose en nous de Michel Berger
qui m’a donné une émotion très bouleversante, mais très galvanisante aussi, très forte, très puissante », m’avait raconté Michel à la rentrée sur France Inter, en direct dans « France Interview » , un vendredi en fin d’après-midi. « Il était en train de s’affirmer, assure Bernard de Bosson qui continue de le couver de son affection. “Le Paradis blanc”, c’est une chansonincroyable. Grâce à l’épanouissement qu’il avait connu sur scène, on assistait seulement à l’éclosion d’un immense artiste, son envol : ça avait commencé au Zénith. » Philippe Rault, lui aussi, considère Ça ne tient pas debout comme l’album le plus achevé de la carrière dense de Michel Berger : « Un opus final épuré où il avait vraiment trouvé sa voix. »
« Le paradis blanc » est un requiem écolo qui lui a été inspiré par le désir d’absolu de la génération qui vient d’adorer Le Grand Bleu, son succès faramineux, avec son clip qui évoque tout à la fois La Planète des singes, Le Monde du silence, les univers d’Enki Bilal, de Moebius et de Wim Wenders, le père Fouras, et voit défiler des spectres sur le fond immuable de glaciers qui ne sont plus éternels et que pleurent déjà les chants des baleines.
Comme il pleure son frère, qu’il aspire à rejoindre poussière dans « L’orange bleue », se demandant « À quoi il sert » d’être ainsi « Privé d’amour ». Et aussi « Ça ne tient pas debout », clip comédie musicale à la Michael Jackson, « Bad » revu par le Téléthon, où Michel est accompagné par son omniprésent lieutenant Janik Top, sur lequel il compte pour le seconder autant que l’encourager. L’admiration est réciproque : « Michel était un véritable chef. Il avait l’oreille subsonique. Et c’est très rare, c’est-à-dire que lui seul entendait ce qu’il voulait. » « Il avait un gros cahier de comptable, à la couverture noire en toile très épaisse, très solide, dans lequel il notait toutes ses chansons. Je me suis amusé à en tourner les pages à reculons, et j’y ai trouvé ses chansons pour lui, pour France Gall, pour Hallyday, s’ébaubit Pérathoner. Toutes ces chansons incroyables étaient là, c’était son brouillon à lui. Il y inscrivait le titre, le texte, quelques ratures et, au-dessus des mots, le nom des accords, sol , do , etc. Il ne savait pasécrire la musique, mais le seul fait de lire les mots te faisait venir la mélodie toute seule. Vers la fin, il avait rempli la dernière page, et il a commencé un autre cahier, identique. Dans le premier, que j’ai revu un jour chez lui, posé sur son piano, il y avait ses quelque deux cents chansons. Mais pas une de trop. S’il avait besoin de dix chansons pour un album, il n’en écrivait pas onze. France a fouillé après sa mort, mais il ne restait rien d’autre. Tout juste un titre des séances à Milan, mais pas terminé. Michel était incroyable. La musique s’échappait de lui toute seule. Luc Plamondon avait été bluffé de voir comment, quand il lui donnait un texte, Michel se mettait au piano et écrivait la chanson d’un jet, instantanément. Pourtant, en studio, il était très tendu, très exigeant. Quand tu ne trouvais pas un truc, il te mettait la pression, tu étais payé pour ça. Il disait : “Serge, non, non pas ça”, tu sentais qu’il était énervé, et tu voulais lui faire plaisir. “Non pas des arpèges, pas ci, pas ça.” Mais qu’est-ce qu’il veut ? Il avait des blocages quelquefois, sur un son, un truc qui le dérangeait. Si tu ne lui donnais pas ce qu’il voulait, il te faisait sentir que ça n’allait pas, mais toujours dans la coolerie, dans la douceur, jamais un mot plus haut que l’autre. Il se mettait dans un coin, fermé, il fallait toujours être dans l’action, pas de temps à perdre. On avait appelé ça la MB School. Il était très malin. Il y avait tellement de concentration, il savait aussi détendre l’atmosphère. Quand ça tourne un titre, c’est un moment de fragilité : tu ne sais pas ce que tu vas jouer, tu crées quelque chose qui n’existait pas, et pour atteindre ce moment magique, il faut passer par un moment de rigolade de gamins, une histoire de cul, pour basculer ensuite dans “Allez on y va”, et briser la tension, se trouver sur un fil entre le conscient et l’inconscient. Çase joue en direct, t’as le magnéto qui tourne, c’est extraordinaire ces moments-là quand tu as une belle
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