Quelque chose en nous de Michel Berger
affirmer, parfaitement gratuitement. « Personne ne savait que c’était nous, se délectera encore Michel dans « Lunettes noires pour nuits blanches », et, du coup, tous les programmateurs s’extasiaient sur ce son extraordinaire des Américains, tellement meilleurs que nous. » Thème qui l’obsédera toute sa vie, et qu’il développera notamment dans « Ça balance pas mal à Paris ». Il énoncera à plusieurs reprises ce qui est à la fois son ambition, sa devise et son obsession : « Si les Américains y arrivent, on doit pouvoir y arriver aussi. »
La mélodie entraînante de son « Jesus », que rappellera plus tard celle de « Si tu veux m’essayer » de Florent Pagny, appuyée par les voix du St Mathews Church Choir londonien, recorded live in Los Angeles (tu parles !), une ferveur militante parfaitement dans l’air du temps, le mystère attenant à un blond barbu mystique aux cheveux longs qu’on imagine membre des Enfants de Dieu quelque part dans un ranch du désert californien, en font instantanément un tube mondial, qui sera même repris par le très chrétien Cliff Richard. Le coup marketing, inspiré du canular « Rock’n’roll Mops » de Boris Vian, Michel Legrand, Jacques Canetti et Henri Salvador sous le pseudonyme de Henri Cording and His Original Rock’n’roll Boys, est imparable, comme le morceau lui-même. En réalité, Jeremy Faith s’appelle Helmut Grabher, c’est un Autrichien du Tyrol de vingt-cinq ans qui chantait dans le métro et qu’un directeur artistique de Decca a confié à Michel Berger, devenu pour l’occasion Mike Hamburger, la consonance anglo-saxonne de son patronyme soudain utile. Il délivre dans la foulée un album entier, avec des titres messianiques comme« You Can Be the Man », « Jerusalem Road 63 », « We Sing Together », « Mary », « Lord, Speak to Me ».
Grabher mourra à quarante-quatre ans, d’une crise cardiaque, comme Michel… Non sans lui avoir permis d’accomplir enfin son destin, comme ce dernier s’en souvenait sans fards quinze ans plus tard en évoquant son grand œuvre de jeunesse réalisé grâce à ce financement miraculeux : « “Jesus”, c’était moi. Mais ça n’était pas moi qui chantais. On en a vendu un million et demi. Ça m’a rapporté beaucoup d’argent, que j’ai claqué en une seule journée. Quatre-vingts musiciens du matin jusqu’au soir, ça coûte très cher. Le soir de l’enregistrement de Puzzle j’avais tout perdu, mais je ne le savais pas encore. »
Ah, Puzzle ! Les Beatles de Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band, les Moody Blues de Days of Future Passed, les Bee Gees de Odessa, Procol Harum de A Salty Dog, les Nice de Five Bridges Suite, le Blood, Sweat and Tears initial avec Al Kooper, Pink Floyd dans Atom Heart Mother, le premier Electric Light Orchestra avec Roy Wood, voient les groupes de rock de la fin des années soixante non seulement intégrer des éléments structurels et des mélodies empruntés à l’héritage classique européen, mais surtout initier des collaborations avec des orchestres symphoniques. La France s’y met à son tour, heureuse de pouvoir se raccrocher à un héritage culturel familier, historique, moins déstabilisant que ces musiques américaines qui bousculent, remettent en cause et fascinent, parfois excitent, menacent, depuis les années vingt, les foules hexagonales dans leur académisme Second Empire de bon aloi. Gérard Manset crée en 1970 La Mort d’Orion, oratorio rock symphonique solennel de science-fiction ; après Initials B.B. inspiré de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, SergeGainsbourg publie le concept classico-rock Histoire de Melody Nelson qui explore la face sombre de la libido ; William Sheller compose une messe symphonique, Lux Eternae ; Vangelis signe la bande originale du film Sex Power ; Polnareff symphonise, de « Dans la maison vide » à « Né dans un ice-cream » ; les Belges de Wallace Collection incorporent violon et violoncelle dans leur formation et triomphent avec « Daydream », au refrain adapté du Lac des Cygnes de Tchaïkovski.
Michel rentre d’un long voyage en Amérique où, grâce à Filipacchi et à Lucien Morisse, directeur des programmes d’Europe 1, il a rencontré Ahmet Ertegun, « Le dernier sultan », visionnaire turc fondateur d’Atlantic, producteur de son idole Ray Charles – comme de tellement d’autres, d’Aretha Franklin à Led Zeppelin, en passant par John Coltrane, Charlie Mingus,
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