Quelque chose en nous de Michel Berger
Chicago Transit Authority. Il s’entend comme un message personnel à sa mère, un bras d’honneur aux musiciens parisiens qu’il exaspère et dont certains se moquent de ses ambitions. Un défi à sa compagne, Véronique Sanson, pareillement éprise du compositeur de Porgy and Bess (elle enregistrera « It Ain’t Necessarily So »), qui réplique aussitôt en composant elle aussi un Concerto pour deux flûtes, deux clarinettes et un orchestre, « du Gershwin romantique » dit-elle, « fabuleux » selon Berger, et malheureusement toujours inédit, pour lequel elle a fait appel aux nécessaires talents d’orchestrateurs des jazzmen et chefs d’orchestre Hubert Rostaing et Christian Bellest. Leurs partitions ont depuis été égarées, partiellement détruites par un dégât des eaux.
L’opus Puzzle, œuvre très ambitieuse pour quelqu’un de vingt-quatre ans, sous sa pochette zébrée de notes et de partitions sur fond noir qui évoque celle de La Mort d’Orion, sera un bide retentissant, malgré tout salué d’un encadré dans SLC : « Après un long silence, il dévoile sa bombe : un étonnant album 30 cm intitulé Puzzle . Alchimie savante et pourtant très digeste, ce disque est une sorte de monument qu’il est indispensable de posséder dans une discothèque digne de ce nom. L’objectif de Michel Berger : créer un mouvement européen de pop symphonique car c’est là, dit-il, que se trouve la vraie musique contemporaine. » Il est interviewé dans Pop Music Hebdo par Jean-Claude Gambert, et en profite pour exposer son manifeste : « La nouvelle musique est celle qui s’ouvre sur toutes les manières de faire de la musique. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les Beatles. Si l’on a envie d’inclure de la musique indienne, chinoise ou du gong tibétain, on ne doit pas se heurter au problème des étiquettes musicales qui ne peuvent que freiner la création. Je considère que la pop music a ouvert ce domaine-là. J’espère que de plus en plus de compositeurs travailleront dans cet esprit. » Il envisage alors jouer Puzzle sur scène, monter pour l’accompagner un spectacle musical complet, avec des ballets, en fait, sans le dire encore, une véritable comédie musicale.
Vu l’accueil glacial, cela ne se fera jamais. « Personne ne m’aime, personne ne me comprend »,se lamente-t-il auprès des siens. Sa sœur Franka, qui connaît alors un important succès professionnel, donne un déjeuner chez Maxim’s, rue Royale, à l’ombre de l’hôtel Crillon près de la place de la Concorde, et demande à l’orchestre du prestigieux restaurant de jouer Puzzle pour y accueillir Michel, rare, sinon unique exécution publique de l’œuvre.
Avec le recul, l’échec ne semble pas l’avoir affecté outre mesure, mais l’oblige à changer de direction : il aurait aimé rester compositeur, enchaînant requiems, oratorios, etc. Au lieu de cela, il met un point terminal à son association avec Pathé Marconi, au moment où Sclingand, déprimé, prend sa retraite. Plus tard, il se fera enterrer avec les lettres que Michel lui écrira. Berger évoquera régulièrement Puzzle comme le moment fondateur de sa carrière, sans amertume : « J’avais décidé de me consacrer à la musique, le reste ne m’intéressait plus. Les études étaient terminées, le problème du service militaire évacué. Je n’en avais rien à foutre. J’étais déterminé comme on peut l’être à cet âge-là et qu’on débute. Après ça, j’ai décidé de m’intéresser aux studios, à la production, pour moi et pour d’autres. J’ai alors dû me confronter à la presse, aux médias, haineux vis-à-vis de tout ce qui pouvait passer pour une resucée de la musique anglo-saxonne. J’ai donc produit le premier album de Véronique Sanson avec qui j’ai travaillé deux ans. »
Véronique
Je me souviens très exactement du moment de l’hiver 1972 où j’ai entendu le premier album de Véronique Sanson. C’est Francis Chaix, représentant marseillais de la maison de disques Kinney-Filipacchi, assez excité, qui nous l’a fait écouter, à Christian Geldreich et à moi, dans notre grande villa à la sortie de La Turbie sur la route de Menton, surplombant de cinq cents mètres la principauté de Monaco, le Cap Ferrat, Cap d’Ail et le bleu intense de la Méditerranée à l’infini, vers la Corse, l’Afrique. Christian fait office de directeur des programmes non officiel mais tout-puissant de Radio Monte-Carlo,
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