Quelque chose en nous de Michel Berger
guise de bureaux, assis sur des tabourets en plastique. J’appelle Michel, que je ne connais pas : “Daniel m’a donné votre numéro, etc.” Il vient me voir là, et on s’insulte pendant deux heures. Il me déclare de but en blanc : “Je ne travaillerai jamais pour une maison américaine. Vous n’allez développer que des Américains, comme d’habitude.” Je lui explique que ça n’est pas du tout ça l’histoire. Instantanément, il s’est passé un truc entre nous. Mon père était très malade, atteint d’un cancer de la moelle osseuse. Michel, dont le drame fondamental est qu’il ne supportait pas la notion d’inexorabilité, s’est aussitôt senti concerné. Il ne voyait pas son père, mais il l’avait appelé pour lui demander de solliciter les plus grands professeurs. Il était obnubilé par la fatalité. “Il faut passer par les plus grands pour se donner les meilleures chances”, m’exhortait-il toujours. Ce fut une rencontre intense, il est resté avec moi jusqu’à la fin. Nous avons alors initié un rapport formidable. Je lui rappelais sans doute son frère disparu, remplaçais même peut-être son père, en n’étant jamais complaisant avec lui, ce qui constitue le véritable respect qu’on doit aux artistes dans notre putain de métier. Bref, je l’ai engagé comme salarié pendant deux ans et demi en tant que directeur artistique. »
Là où l’histoire devient incroyable, c’est lorsqu’on apprend, si on ne le sait déjà, comment un trio va voir les destins respectifs de chacun de ses constituants s’entremêler.
« La première artiste que j’ai signée en mai 1971, avant même Hugues Aufray, était France Gall », raconte l’incontournable de Bosson. « On cherche du matériel pour elle avec Orfino qui était aussi dissemblable de Michel que le serait Balavoine. Maisles deux fonctionnaient ensemble de façon formidable. Jeanne-Marie était une intellectuelle, Michel un philosophe, au fond. Il me parlait tout le temps d’une artiste qu’il avait sous le coude et qui écrivait des chansons. “Elle en a qui pourraient convenir à France Gall”, m’assure-t-il. Pour écouter les maquettes, on avait un petit cagibi avec un Revox dans lequel on suait comme dans un hammam. France vient les y écouter et entend quatre chansons dans un esprit brésilien, écrites et chantées par Véronique, donc. France les trouve super, mais nous dit qu’elle ne peut pas les chanter, ça n’est pas son style. En revanche, nous dit-elle : “Si vous ne signez pas cette fille, vous êtes des tarés.” »
Le destin est scellé et Bernard de Bosson va en être le catalyseur. « Michel continuait de me tarabiscoter avec cette fille. Catherine, ma secrétaire, me dit un jour de septembre 1971 : “Orfino a une urgence.” Je l’appelle, il me dit : “Viens tout de suite voir ce qui se passe plutôt que de faire du reporting aux Américains.” Je déboule dans un infâme studio de maquette des studios Charcot près de la porte d’Italie où enregistraient auparavant les Double Six. J’entre dans une petite cabine avec une console 8 pistes plongée dans le noir à l’exception de la lumière des potards, et j’entends une voix et un piano. Je ne peux rien voir, parce que l’unique lumière provenait d’une petite lampe de chevet surmontée d’un chapeau posée par terre au pied du piano. Là, j’entends “Amoureuse” et instantanément je suis en larmes, sans pouvoir me contrôler. La même émotion que la première fois où j’avais vu Ray Charles au Palais des Sports dix ans plus tôt avec les Raeletts, Hank Crawford et Fathead Newman. J’apostrophe mes deux gaillards et je leur dis : “Si on ne la signe pas, je vous tue.” Michel m’organise bientôt un dîner avec Véroniquerue de la Trémoille, derrière Europe 1, mais il n’est pas venu. Elle s’attendait à trouver un mec avec un gros ventre en costume trois pièces comme un banquier suisse. Mais je suis arrivé avec une rose à la main, et nous n’avons parlé que de musique. En sortant, j’avais dans ma voiture une cartouche 8 pistes de l’album de Randy Newman, Sail Away, et je lui ai dit : “Allez, on part à Deauville, 1, boulevard Richard-Lenoir pour l’écouter en boucle toute la nuit, on se trempe les pieds dans l’eau, et on revient. – Chiche”, me répond-elle.
» On s’est explosé la tête tout au long du trajet. Ensuite, Michel et Véro ont fait quelques maquettes, et on a produit
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