Quelque chose en nous de Michel Berger

l’album directement. » Ce qui, à l’époque, ne se pratique jamais, et constitue de la part de Bernard une prise de risque visionnaire, admirable. L’album est torché quasiment live, en dix jours, dont trois de mixage compris, rue de la Gaîté, en décembre 1971. Michel Bernholc en fait écouter les bandes chez lui, boulevard Richard-Lenoir, sur son Revox, à un autre Bernard, Saint-Paul, tellement il est en fier.

    Amoureuse sort le 24 mars 1972 sous étiquette Elektra, le label des Doors, de Love, du Butterfield Blues Band, de Judy Collins, de Phil Ochs, de Tim Buckley et autres Incredible String Band. L’accueil est prometteur mais pas autant que l’espérait Michel Berger, certain d’avoir livré enfin un chef-d’œuvre, après les différents faux départs de sa bien-aimée. « Besoin de personne », cet hymne féministe paradoxal, se classe timidement au hit-parade de RTL en juillet. Il en conservera l’amertume longtemps après. « Pour commencer, Véronique a fait son Puzzle à elle, un disque fantastique qui n’est jamais sorti. Avec le suivant, j’en ai pris plein la gueule. J’avais pris contact moi-même avec les médias, persuadé qu’onallait m’accueillir en me disant que c’était le meilleur album de tous les temps. En fait, ce fut un peu plus compliqué que ça. Au moins, “Amoureuse”, “Besoin de personne”, “Mariavah”, “Bahia” sont passées à la radio. Seulement, à l’époque, ce genre de musique ne marchait pas vraiment. Ce qui a plu chez Véronique, ça a été sa voix, que je trouve exceptionnelle. Mais alors que je croyais que tout le monde allait établir une comparaison avec le rock, elle s’est faite avec la variété française. À l’avantage de cette dernière, d’ailleurs. J’en ai pris plein la gueule dès le début. J’ai encore lu une interview récente d’Eddy Mitchell où il dit : “Tout le monde prétend faire du rock aujourd’hui, même Michel Berger.” Le jour où je ferai autre chose, c’est cet acharnement contre moi dont je me souviendrai. À mes débuts, on me reprochait ma façon de chanter. On m’appelait Michel Bergé-é-é. Quant à Véronique, on disait qu’elle chantait comme une chèvre. Comme j’étais le berger, ça tombait bien, remarque ! »
    Malgré la frustration, relative, la dynamique est bien en place et le même trio (Sanson et les Michel) se retrouve de nouveau au studio Europasonor en octobre, et « Comme je l’imagine », morceau au piano funky d’origine gospel comme chez Carole King, Elton John, Leon Russell et Cat Stevens, à l’imagerie cinématographique et romantique puissante, avec une rupture mélodique du chant très originale, est aussitôt diffusé sur les ondes. C’est déjà un tube, suite logique de « Besoin de personne », quand sort, le 8 décembre, l’album De l’autre côté de mon rêve, sacrée confirmation. Plus orchestré qu’ Amoureuse, plus chargé avec force cuivres, cordes, percussions, plus assuré aussi, plus dynamique et rythmique encore, le vibrato de la voix résonnant, s’appuyant, prolongeant le martèlement du piano cette fois omniprésent, où les motssont utilisés comme percussions (« King Kong »), il renforce l’expression de la chanteuse comme de la compositrice, naturellement inspirée, même si, comparativement, il lui manque la fraîcheur virginale de la première fois. Sans parler des guitares magiques d’Engel et de « Crapou ».
    « Amoureuse », elle l’est toujours, de l’amour, dirait-on, en demande, en désir, en attente d’un prince charmant, dont on comprend bien qu’il ne saurait être que musicien. « Devine-moi », « Une nuit sur mon épaule », « De l’autre côté de mon rêve », « Comme je l’imagine », évidemment, sonnent comme des appels à un amant mythique, rêvé, de petite fille aux aspirations de femme assumées, Kate Bush et Tori Amos avant l’heure, Joni Mitchell en moins allégorique et purement poétique.
    « Toute seule », en particulier, retentit a posteriori comme un warning littéral, une alerte rouge sur une relation restée tanquée du côté immobile du rêve immense, la sanction de l’infidélité clairement énoncée – et annoncée.
    Avec les auteurs, tout est toujours dans leurs textes, consciemment ou non, et quoi qu’ils s’en défendent. Or, sur les entrefaites de l’enregistrement de De l’autre côté de mon rêve, Véronique Sanson a disparu, de l’autre côté de l’océan. Évaporée,