Quelque chose en nous de Michel Berger
chansons. Simple ruse, habileté d’auteur en recherche désespérée du moindre état qui fera naître un morceau suffisamment chargé d’émotion, de pathos, de sincérité, pour dépasser la banalité du savoir-faire ?
Chez Michel comme chez Véronique, on peut lire intrinsèquement tant de messages que le risque,finalement, n’est pas d’en occulter mais, au contraire, plutôt d’interpréter chaque chanson de manque, d’aspiration à retrouver un bonheur enfui, chaque appel dans la nuit du cœur, comme une bouteille à la mer forcément destinée à cet Autre.
Certaines pourtant, en l’absence de l’un de leurs auteurs pour le certifier et en raison de la nécessité du second de se justifier, semblent quand même immanquablement marquées du sceau de ce déchirement, de cette absence-là. L’expression la plus évidente, la plus marquante de toutes, celle que le temps a consacrée, c’est « Seras-tu là ? ».
La version studio de Michel, sur l’album Que l’amour est bizarre, est splendide, majestueuse, élégante avec son piano en sonate, ses vagues de cordes entêtantes, son contre-chant d’orgue, sa batterie en retour d’écho, et constitue l’une de ses compositions majeures, que ce soit d’un point de vue purement mélodique, harmonique, musical, mais aussi en tant qu’auteur de chansons pop. Mais surtout, il faut l’avoir vu la chanter live seul au piano, dans un décor de loft avec palmiers et mobilier design goût SFP, dans le « Formule 1 » de France Gall, en 1984. La performance est exceptionnelle d’intensité, proprement fascinante. J’ai beau l’avoir visionnée des dizaines et des dizaines de fois (elle est disponible sur Youtube), elle me fait toujours le même effet – à cet instant –, celui-là que j’éprouve à chaque fois devant ces singer-songwriters anglo-américains qui ne savent par nature même pas ce que « faire semblant » pourrait bien vouloir dire, de Neil Young à Bruce Springsteen, de Dylan à Van Morrison.
Son regard est rivé à la caméra, l’œil gauche plus ouvert que le droit, il pense à elle, il lui parle, s’adresse à elle seule, absolument déterminé à lui transmettre son élan, comme si elle était là, de l’autre côté, etque tout son être n’était plus tendu que vers elle, porté par ces accords, cette mélodie, ces mots, ces notes, ce piano, vers les touches duquel – vers ses mains, en fait – il ne baisse les yeux qu’à trois courtes reprises, plus une plus longuement pour quelques mesures instrumentales avant de reprendre le chant et de conclure par un double et appuyé « dis-moi que oui » implorant, mais fort, sans pathos, au terme duquel, le regard toujours planté dans la focale, il se pince les lèvres, puis mord celle du bas, signal puissant et sans ambiguïté.
On est d’ailleurs en droit de se demander, à ce moment-là, ce qu’en pense France, à qui l’émission est dédiée, avec laquelle il file alors un bonheur sans tache. À moins qu’il ne songe à elle aussi, ou à elle tout court, à la crainte de la perdre un jour, à son tour ? Bien souvent les impressions, les émotions, les expressions – les chansons, donc – sont des amalgames qui échappent jusqu’à leurs auteurs. Qui sait pour certain ? Et France n’est-elle pas, de toute manière, plus intelligente, plus généreuse, plus attentionnée, plus au fait de ce qui constitue un artiste, de ce qui le conditionne, l’habite, que la plupart, et ne s’en offusque, ni ne s’en inquiète ?
Véronique mettra « Seras-tu là ? » au répertoire de son Zénith de la porte de la Villette en 1993, après la mort de Michel, disparition qu’elle évoquait de manière prémonitoire dans « Je serai là », promesse de Gasconne où elle indiquait espérer malgré tout leurs retrouvailles, autour de la musique, y compris celle qu’on fait à deux… Le succès, l’émotion, suscités par cette appropriation d’une supplique qui lui était destinée engendrera une série d’hommages « d’un papillon à une étoile » sur scène et en studio. Soient « Quelques mots d’amour », expédiés depuis les Francofolies de La Rochelle 1994, jusqu’à l’Olympia dejanvier 2000 avec l’orchestre symphonique de Prague, dirigé par l’incomparable Paul Buckmaster, arrangeur des albums majeurs d’Elton John, de Nilsson, de Shawn Phillips, collaborateur de David Bowie (« Space Oddity », The Man Who Fell to Earth ) et des Rolling Stones («
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