Quelque chose en nous de Michel Berger
», confiera un temps à ses amis ce garçon par ailleurs terriblement bien élevé et respectueux. Cela ne l’empêchera jamais de saluer l’immense talent de Françoise, prenant même Gainsbourg à témoin sur Antenne 2 : « Françoise, c’est la star qui ne veut pas être star, mais c’est vraiment une interprète fantastique. »
« Il m’a semblé s’être beaucoup bonifié avec le temps. En particulier il était devenu d’une humilité touchante, m’écrit généreusement Françoise en cette fin janvier 2012. Sur le plan de la personnalité, j’ai souvent pensé que sa grande sentimentalité le féminisait et qu’il cherchait à la compenser en forçant sur le côté directif, exigeant, intransigeant, qui faisait aussi partie de lui. Je suis attentive au physique des gens et je l’ai toujours perçu aussi comme quelqu’un de fragile, avec son visage un peu trop long, un peu trop étroit, aux traits trop fins. Il a sans doute aussi cherché à donner le change sur ce plan. Artistiquementparlant, Michel Berger, que je continue d’écouter avec la même émotion, restera l’un de nos plus grands mélodistes et l’un de nos meilleurs producteurs. »
De l’autre côté de son rêve, de l’Atlantique donc, le message personnalisé a été reçu et son écho en guise d’accusé réception ne se fera pas attendre. Le dialogue entre Michel et Véronique, ping-pong par chansons interposées, ne fait que débuter. Si l’on en croit l’histoire, il ne s’interrompra jamais. Parce que leur lien est fondateur, que le chagrin d’amour est une source incomparable d’inspiration, que le remords l’est tout autant, et que les circonstances l’encourageront. « C’était leur manière à eux d’être ensemble », me confiera une rare confidente de Michel, qui requiert l’anonymat. La distance, l’éloignement, l’interdit, entretiennent le désir, la flamme dévorante, comme aucun autre carburant émotionnel connu. L’album Le Maudit, que Véronique enregistre au studio A&M d’Hollywood et au Record Plant de Sausalito, dans la baie de San Francisco, avec les musiciens de son mari, regorge de références à l’exil, mais surtout aux conséquences abyssales de la séparation brutale d’avec Michel Berger. Intense et dru comme une lettre de rupture, c’est un album fondamentalement rock, débarrassé de toute fioriture, de tout infantilisme romantique, de toute joliesse superflue, et grâce à cela d’une richesse essentielle, chansons ascétiques et visionnaires, comme autant de haïkus mis bout à bout. « Je vivais dans un environnement de rock et on n’échappe pas à ses influences. Les musiciens m’ont forcément apporté leur puissance. De mon côté, j’avais mes propres racines françaises. Je vivais une période très douloureuse, très pénible et j’ai écrit Le Maudit très facilement. » Tout est dit par la chanson titulaire, et son célèbre aphorisme pénitent en sous-titre, métaphore du blues, « Ladouleur efface ta faute », métathèse sexuelle commode d’une parjure catho aux expressions pittoresques, éloignée du jardin d’Éden pour expier son apostasie sentimentale en Terre Promise californienne transformée en purgatoire.
« Le Maudit », « Cent fois », « Un peu plus de noir », « Bouddha » et surtout le terrifiant « Ma musique s’en va », regardent tous en arrière, chansons coupables, brutales, violentes, portées comme du sel sur une plaie cordiale charcutée à la lame, autoflagellation d’un diable-au-corps qui s’en veut de s’être trompé de chemin aux crossroads où le Malin l’attendait, et chante le blues qui en découle, « stoned again ».
L’échange se poursuivra indéfiniment, moteur à explosion de leurs carrières respectives, totem auquel ils vont s’accrocher tous les deux, chacun de leur côté, sans plus très bien savoir, peut-être, si leur amour interrompu n’est pas devenu un mythe et leur passion seulement nourrie par son tranchant, la béance de l’abîme des sentiments, l’isolement, l’incarcération affective, comme chez Tristan et Yseult, Héloïse et Abélard, Layla et Majnun, entretenus par le manque, leurs nécessités créatives, source intarissable d’inspiration plutôt que réalité d’un désir aussitôt menacé d’extinction par les contingences ménagères. Roméo et Juliette imaginaires, en somme, vénéneux pour leurs relations amoureuses respectives, mais formidablement bénéfiques à leurs
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