Qui étaient nos ancêtres ?
restés dans le monde de l’oral, n’a jamais fait l’objet de définitions équivalentes à celles dont on a doté les noms communs. Curés, notaires, puis secrétaires de mairie les ont, des siècles durant, mis à la sauce de leur choix, sans risquer la moindre contestation puisque personne n’y attachait alors la moindre importance, et que les hommes qu’ils avaient en face d’eux étaient aux quatre cinquièmes anaphabètes.
Dès lors, si un nom comme Dupont se voyait logiquement orthographié ainsi, d’autres comme celui originaire de Touraine et donnant phonétiquement Guéto pouvaient se voir écrit non seulement Guétault, mais encore Guetault, Guettault, Guetot ou Guettot, Guetaux ou Guettaux, Guetaut ou Guettaut, Guetaud ou Guettaud, Gueteau ou Guetteau, Gueteaux, Guetod ou Gettod…, sans oublier des graphies d’inspiration plus ancienne comme Guestault, Guestaut, Guestaud, Guestot, Guesteau, etc.
On peut dire que, jusqu’à la création des livrets de famille – instaurés vers 1878-1880 – et même jusqu’à l’alphabétisation, qui ne produisit guère ses effets avant le début du XX e siècle, il n’était pas rare de voir les actes de naissance des enfants d’un même homme rédigés sous des orthographes aussi variées qu’inattendues. Mieux, ces orthographes multiples pouvaient se rencontrer dans un seul et même acte : ainsi, en 1745, en Lorraine, le baptême de Jacques Rümlinger, fils de Bernard Remelinger et noté en marge Rimlinger ! Voilà comment certains noms de famille connaissent aujourd’hui dans notre « corpus patronymique » national jusqu’à cinquante orthographes différentes, un nom aussi simple que Dupont fournissant des Dupond, Dupon, Duppont, Duppond et Duppon !
Obsédés par les sacro-saintes règles orthographiques enseignées par l’école de Jules Ferry, beaucoup de Dupont en concluent hâtivement que les Dupond ne sauraient être leurs cousins, alors qu’ils peuvent fort bien être unis par un lien de parenté encore très proche…
« Ne sachant signer de ce enquis » :
« bottes, nids d’abeilles » et croix des illettrés
La seule signature de nos ancêtres constitue déjà un objet d’étude intéressant, en ce qu’elle a longtemps révélé du premier coup d’œil le niveau d’instruction de celui qui l’appose.
La stratification est en effet évidente. Elle commence par le seing du simple paysan ne sachant que tracer bien malhabilement, sous forme de lettres-bâtons, les caractères composant son nom de famille (il n’est pas rare qu’il en oublie). Ce paysan, qui ne sait sans doute pas même lire, n’a pu apprendre, au cours des quelques séances d’hiver bien irrégulières qu’il a passées chez le maître d’école, autre chose que « signer » ce qui représente déjà tout un savoir. Beaucoup en restent là, ne dépassant donc jamais le cap de la simple et littérale « alphabétisation ».
Viennent ensuite des écritures qui restent lentes, mais s’assouplissent, signe d’un meilleur apprentissage, laissant supposer la connaissance de la lecture, puis des écritures plus appliquées, plus fines et surtout plus rapides, qui témoignent d’une maîtrise de l’écrit, enfin des écritures courantes, qui permettent de supposer une instruction à peu près complète, et qui sont souvent accompagnées de paraphes.
Ces curieux enchevêtrements, quelquefois appelés « nids d’abeilles », se veulent inimitables. Une grande persévérance et une grande volonté permettent à leur auteur de les reproduire d’une façon étonnamment fidèle et constante, au point que ce sont eux, tel un sceau, qui donnent valeur et force à sa signature.
En ces temps où le silence est d’or et la parole d’argent, c’est en effet la signature qui fait foi au sens strict du terme. Il n’est qu’à songer à la marque que tracent ceux « ne sachant signer ». La croix qu’ils apposent au bas du document les citant ou les concernant n’est pas pure fantaisie : elle est le signe de l’engagement, de la parole donnée sous serment, lequel, évidemment, dans cet univers tourné vers Dieu et la religion, est fait sur ce qu’il y a de plus sacré : la croix du Christ. C’est là l’équivalent du serment fait verbalement, la main sur la Bible ou sur les Évangiles, par qui comparaît devant un tribunal. Malheur donc à qui se parjurerait !
Dans ce monde de l’oral, combien de gens savent-ils lire ou écrire ?
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