Qui étaient nos ancêtres ?
Très peu. Charlemagne lui-même ne savait sans doute que tracer son monogramme et longtemps encore le dégagement et la persistance de rites gestuels comme ceux de l’adoubement montrent que nos seigneurs restent totalement incultes. Ils ne peuvent à la fois guerroyer et estudier. Étudier est la tâche des clercs, comme on appelle longtemps non seulement les hommes d’Église, mais toute personne instruite et docte. C’est à ce clerc que le seigneur, au Moyen Âge, s’adresse pour faire coucher par écrit telle ou telle de ses actions ou de ses décisions, écrit auquel il apportera son scel, pour toute authentification.
Avoir « la bosse des maths » ou « ne pas être grand clerc »
Sait-on que nos « bosses » (des maths ou du français) viennent de théories qui firent fureur sous l’Empire et la Restauration, mais qui font aujourd’hui hurler de rire ?
À cette époque-là, en effet, deux savants allemands, Gall et Sprurzheim, inventèrent la phrénologie , qui était la science de la physiologie intellectuelle. Selon eux, tout reposait sur le cerveau, qu’ils voyaient composé d’autant d’organes particuliers que l’on peut avoir de sentiments et de facultés. Ils estimaient donc que la forme physique de celui-ci – et donc celle de la boite crânienne – pouvait suggérer à l’observateur ses qualités particulières. Balzac s’enthousiasma pour cette théorie, et l’on parla alors couramment de bosse pour telle ou telle chose, les Parisiens « branchés » se passionnant pour la cranioscopie en s’examinant les cafetières. Pour autant aucun ne se trouvait l’air cruche, expression pourtant ancienne, qui était initialement « avoir l’air d’une cruche sans anse », et que l’on employait pour parler de celui qui était sot au point d’être aussi difficile à manier que cet objet.
Mais pour fumeuses qu’elles aient été, ces théories crâniennes n’en ont pas moins correspondu à des idées fréquentes et anciennes, faisant depuis longtemps dire que l’on est fêlé, fissuré , timbré , cette dernière expression ayant cours dès le XVII e siècle, sans que l’on sache si elle se rapportait au timbre de la cloche, à celui du papier timbré, ou aux timbres, éléments extérieurs dont on marquait un blason, comme les casques ou devises… Qui avait l’air cruche n’en était pas encore louf ni loufoque (le mot n’apparaîtra que vers 1875), alors qu’il pouvait être également depuis longtemps traité de piqué, au sens très ancien de rongé des vers.
Aucun de nos timbrés ni de nos piqués n’était en tous les cas grand clerc. Au Moyen Âge, le clerc était le lettré, celui qui voyait « clair » dans les livres. L’ignorant est le mauclerc et la clergie était la science, du moins ce qui pouvait alors suffire à vous rendre savant. Ne pas être grand clerc signifiait donc être peu instruit, et l’expression prit rapidement un sens d’ignorance générale, pour être rejointe par nombre d’autres, comme ne pas savoir son Pater ou être docteur en soupe salée. Autant de gens qui n’étaient pas des cracs…
Plus encore que les hommes, les femmes, même de très haute naissance, sont longtemps restées parfaitement incultes. Personne ne s’en trouve gêné. Le duc du Bretagne, alors troisième personnage du royaume, ne voit pas d’inconvénient, au XV e siècle, à ce que sa femme soit totalement illettrée, et encore trois siècles plus tard, la plupart des filles de châtelains ne savaient que marquer leur nom de baptême avec les mêmes lettres-bâtons que traçaient les plus évolués des métayers de leur père. En Corrèze, Anne Beyneton, fille du sieur de Lavergne et sœur d’un chirurgien, est devenue, à l’âge de quinze ans et demi, l’épouse de Maître Léonard Brugère, notaire à Saint-Martin-Sepert, près d’Uzerche. En 1764, comme d’ailleurs à son mariage, un acte mentionne qu’elle « a déclaré ne scavoir signer, de ce duement interpellée ».
Traditionnellement, le curé, quand il rédige les actes de baptême de nos ancêtres, nomme le père, le parrain et la marraine et termine en signant, seul, au bas de l’acte, en ajoutant une formule précisant que les autres personnes nommées « avaient déclaré ne le savoir, de ce enquis » (autrement dit, après m’en être enquis auprès d’eux). La foule de nos ancêtres ne sait apposer son nom au bas d’un acte, hormis quelques notables et des
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