Qui ose vaincra
comme le créateur
des parachutistes en cherche. Sa maturité est stupéfiante chez un garçon qui n’a
pas encore atteint ses seize ans.
Au début de juillet 1941,
les parachutistes sont trente et un. Ils ont été sélectionnés, jugés sur leurs
aptitudes physiques et morales. Parmi ces tout premiers qui créèrent l’arme d’élite,
il faut citer les noms de Louis Le Goff, Marcel Drezen, tous deux Brestois, de
Robert Guichaoua, de Quimper, de Victor Ituria, vite surnommé Saint-Victor. Pendant
des mois cette trentaine de colosses a été surentraînée mécaniquement. Secondé
par les services spéciaux anglais, Bergé en a fait des surhommes. Et pourtant, dans
chaque discipline, Victor Ituria surpasse ses camarades. Basque de
Saint-Jean-de-Luz, « Saint-Victor » ne boit pas, ne fume pas, ne
court pas les filles. Ancien champion de pelote basque, il étonna Churchill, lors
d’une inspection, par son adresse inimaginable, lançant à plusieurs reprises
une grenade dans un chapeau à une distance de soixante mètres. De ses
compagnons, Ituria admet tout, comprend les écarts joyeux dont ils se rendent
coupables à chaque permission, supporte en souriant les plaisanteries les plus
grossières, mais il reste intransigeant sur deux points : le Christ et le
drapeau. Plaisanter en sa présence sur l’un ou l’autre de ces sujets équivaut à
un ticket d’entrée à l’infirmerie.
Bientôt Bergé ne peut
plus tenir ces hommes dont il a fait des fauves. Les incidents se multiplient
tant dans le village du New Forrest près duquel ils sont cantonnés qu’à l’intérieur
même du camp. L’inaction, ou plus exactement le fait de ne participer à aucun
combat, ronge les nerfs des plus placides. Depuis deux mois le capitaine leur a
mis une carotte sous le nez. « Bougre de bornés, hurle-t-il fréquemment, c’est
dans notre intérêt qu’on nous surentraîne ! Nous allons être parachutés en
France incessamment. Tout ce qu’on nous enseigne ici n’est pas superflu, croyez-moi. »
Hélas ! ils sont
tous convaincus de ne plus rien avoir à apprendre. Un sentiment d’invincibilité
s’est ancré en eux, ils ne comprennent ni n’admettent qu’on ne les utilise pas.
Le 16 juillet 1941, Bergé
rassemble son troupeau, annonce aux hommes que la compagnie gagne Londres où
une mission doit leur être confiée.
« On va en France, mon
capitaine ? interroge joyeusement le jeune Léostic.
— Tu verras bien. »
Dans les camions qui
gagnent la capitale, un délire euphorique s’est emparé des parachutistes. Le « Tu
verras bien ! » du capitaine a été interprété par tous comme une
réponse affirmative à la question du jeune Breton.
Seul, fidèle à son
personnage, Ituria reste songeur.
« T’es pas heureux
d’aller en France, Victor ? » lance Mouhot.
Ituria hausse les
épaules.
« Je pense aux
Allemands, ils ne doivent pas être plus d’une centaine de mille en Bretagne. Si
on nous parachute tous les trente ils vont souffrir, les malheureux ! »
Dans un éclat de rire
général, Le Goff réplique :
« Ça fait jamais
que trois mille pour chacun de nous ! C’est pas la mer à boire, pas vrai, les
gars ! »
Les hommes approuvent, les
rires redoublent.
Dans la soirée, ils
arrivent au camp de Barnes, situé dans Hammersmith. C’est un des dépôts de
transit londoniens. En quelques mots Bergé explique que le lendemain on
touchera des équipements, puis qu’on reprendra la route. Pour une destination
inconnue.
Les parachutistes dînent
dans une ambiance fiévreuse avant de gagner le dortoir qu’on leur a destiné. Mouhot
s’est séparé du groupe ; par instinct il erre dans le camp comme un chat. Lorsqu’il
rejoint le dortoir, un masque grave fige son visage. Il allume une cigarette en
silence, ne participe pas aux plaisanteries qui continuent de fuser autour de
lui.
Du coin de l’œil, Ituria
l’observe un moment avant de se décider à se lever et à le rejoindre.
« Tu as appris
quelque chose, Jacques ? » interroge le Basque.
Mouhot répond d’un
triste signe affirmatif. Le Goff a suivi le bref échange de ses deux compagnons.
Il se plante à son tour près du lit de Mouhot. Son manège déclenche chez tous
le même réflexe de curiosité ; l’un après l’autre ils se lèvent. En
demi-cercle, ils se groupent anxieux autour de Jacques Mouhot.
« Accouche, nom de
Dieu ! siffle Léostic. L’opération est annulée
Weitere Kostenlose Bücher