Qui ose vaincra
?
— Le tout est de
savoir quelle opération ! rétorque Mouhot.
— Explique-toi.
— J’ai vu les
équipements qui nous sont destinés. Et j’aimerais voir la gueule des Bretons
quand ils nous verront arriver en short, chemisette et casque colonial.
— C’est pas vrai ?
Tu déconnes !
— C’est tout ce qu’il
y a de vrai ! Je ne sais pas où nous allons mais ce n’est sûrement pas en
France, et il doit y faire sacrement chaud ! »
Ils n’apprirent leur
destination que dans la soirée du 21 juillet. À l’aube, à Glasgow, ils avaient
embarqué sur un transport de troupes de 20 000 tonnes, le Cameronian. Le
bateau naviguait vers le Moyen-Orient, mais ils ignoraient par quelle voie.
Le Cameronian mit
quarante-deux jours pour gagner Suez sans escale, faisant le tour de l’Afrique,
après avoir, par prudence, fait route à l’ouest près d’une semaine.
De septembre 1941 à
janvier 1942, c’est de nouveau l’attente. La poignée de parachutistes français
est propulsée d’un camp à l’autre à travers le Moyen-Orient. Du Caire à
Beyrouth, de Beyrouth à Damas, des cantonnements provisoires, des villes souvent
hostiles, des casernes lugubres leur servent de havre.
Bergé ne leur laisse
aucune détente ; il craint que dans l’inaction ses hommes ne perdent le
fruit de leur entraînement. Où qu’ils se trouvent, chaque jour ce sont des
marches harassantes sous une chaleur d’enfer. » Partout, le commando français
émaille son passage de scandales, de bagarres au cours desquelles les
parachutistes mettent en pratique leur science nouvelle avec efficacité. Les
troupes australiennes sont le plus souvent leurs victimes. Des bars, des
bordels, toutes sortes de lieux de plaisir sont saccagés au cours de
spectaculaires pugilats collectifs. Bergé intervient mollement, considère ces
écarts comme nécessaires à l’entraînement et au moral. Il se contente d’aller
récupérer ses hommes dans les divers établissements de police dans lesquels ils
échouent régulièrement à l’issue de chaque sortie. Une inimitié fondée précède
les Français dans les villes et les camps. L’atmosphère se tend, un malaise
croissant plane sur le groupe qui a le sentiment d’être oublié, de constituer, pour
les Alliés qui contrôlent ses mouvements, une calamité dont il convient de se
débarrasser en l’expédiant exercer ses talents vers d’autres lieux.
Le 31 décembre 1941, les
trente hommes de Bergé reçoivent enfin une affectation. Après avoir été
baptisés Peloton parachutiste du Levant, ils sont devenus la 1ere
compagnie parachutiste des Forces françaises libres. Dans la nuit de la
Saint-Sylvestre, quatre camions chargés des hommes et de leur matériel prennent,
à travers le désert, la piste de l’ouest qui aboutit à Port-Fouad. Seul Bergé
connaît leur destination : le camp de Kabret, sur la rive occidentale du
canal de Suez. Les Français vont être joints à une unité nouvelle de
parachutistes britanniques, le Spécial Air Service du capitaine David
Stirling.
Les S.A.S. de Stirling
étaient formés depuis six mois à peine. Ils avaient déjà une légende. Bergé
avait entendu raconter que Stirling était parvenu à créer son unité en forçant
la porte du général Ritchies. Pour parvenir à l’intérieur de l’état-major du
Caire, Stirling, alors lieutenant en convalescence, n’avait pas hésité à ramper
sous la clôture de barbelés qui ceinturait les locaux et les dépendances du
haut commandement.
Bergé avait songé à son « évasion »
du camp d’Aintree. Ça lui paraissait plus qu’une coïncidence plaisante, il y
voyait un parallélisme dans leur destin et il était hanté par la prise de contact
imminente avec l’homme dont lui et sa compagnie allaient dépendre.
Le 2 janvier 1942, après
quarante-huit heures de traversée brûlante, les camions roulent vers le sud en
direction d’Ismaïlia. À l’aube, les parachutistes ont traversé le canal de
Port-Fouad à Port-Saïd. Peu avant midi, ils aperçoivent la fourmilière de
tentes qui forme l’immense camp de Kabret. Toutes les nationalités alliées y
sont représentées : Australiens, Anglais, Hindous, Néo-Zélandais, etc. Les
S.A.S. de Stirling ont dressé leur cantonnement à l’écart, ils sont autonomes.
Les quatre camions
paraissent être à la dernière extrémité de leur possibilité mécanique lorsqu’ils
pénètrent dans
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