Qui ose vaincra
mesurez l’importance de
notre mission. Quarante-huit heures après le départ du convoi, son passage ne
dépendra que de nous. Bref, si le convoi passe, Malte est sauvé ; si nous
échouons, c’est la catastrophe. De nous six va dépendre la vie de milliers de marins
anglais, la survie ou la capitulation d’un point stratégique que les Alliés ont
réussi à conserver au prix d’efforts colossaux.
— Je vais même plus
loin que vous, mon capitaine, intervient Lord Jellicœ. C’est un tournant
décisif dans la guerre. Du contrôle de Malte dépend le contrôle de la
Méditerranée. Je pense sincèrement que notre mission peut être considérée comme
la plus importante jamais tentée depuis le début des hostilités. Je tiens de
Stirling que le Haut Commandement et Londres partagent entièrement ce point de
vue. »
Imperturbable, Bergé
reprend la parole :
Nous serons débarqués
dans la nuit du 9 au10 juin. Nous devrons accomplir notre mission, soit dans la
nuit du 12 au 13, soit, dernier délai, dans celle du 13 au 14. Afin de créer
une diversion, la RoyalAir Force bombardera l’aéroport au cours de ces deux nuits
à 2 heures du matin. « Du point de débarquement à l’enceinte de l’aérodrome,
nous n’aurons qu’une quinzaine de kilomètres à
parcourir, mais le
terrain est dur, c’est de la montagne, et nous ne possédons aucun contact de ce
côté de l’île. Le lieutenant Costas Petrakis que je vous ai présenté hier est
natif du Sud crétois, d’un village proche du lieu où est prévu notre rembarquement
dans la nuit du 19 au 20 juin. Ce sera pour nous un atout immense. Des
questions ? » Mouhot se lève :
« Mon capitaine, si
j’ai bien compris, une fois l’action de commando menée à bien (il touche le
bras de bois de son siège, provoquant des sourires), nous devrons traverser l’île
dans sa largeur. Si j’en crois l’échelle de la carte, ça doit représenter une
centaine de kilomètres. Avez-vous des précisions sur les forces allemandes
basées en Crète ? »
Bergé réfléchit un
instant avant de répondre : « Je vous dois la vérité. Il y a une
division de S.S., un régiment de parachutistes, de nombreux éléments de la
Luftwaffe, des représentants de tout leur gratin. Et le seul élément qui joue
en notre faveur est une arme à double tranchant : c’est la diversité du
terrain, les montagnes qui nous permettront de nous dissimuler et d’évoluer
relativement à l’abri.
— Ce sera
excessivement pénible, précise Petrakis. La montagne est rude, sèche, brûlante.
Vous êtes entraînés pour ce genre d’opération, ça constitue notre seule chance
d’en sortir. »
À son tour, Lord Jellicœ
prend la parole. « Le capitaine Bergé s’est parfaitement expliqué. Il vous
a exposé l’importance de la mission qui vous est confiée. Encore une fois, je
vais aller plus loin que lui. L’issue de la guerre peut dépendre de Malte. En
conséquence, jusqu’à nouvel ordre, nous ne devons songer qu’à mener à bien
notre action de commando qui consiste à bloquer au sol la force aérienne d’Heraklion.
Ensuite, et ensuite
seulement, nous pourrons penser au repli et à notre salut. Avant, ça doit
demeurer un détail. J’espère que je me suis bien fait comprendre.
— Admirablement, monsieur,
lance Léostic. Pourvu que les avions sautent, nous on peut crever. »
9
Dans la soirée une
vedette transporte les cinq parachutistes et leur guide grec à bord d’un
sous-marin qui mouille à un mille du navire amiral. Il s’appelle le Triton. C’est
un vieux submersible français qui a été cédé à la Grèce en 1938. Aucun des six
hommes n’a jamais mis les pieds sur un sous-marin. Sans être au courant des
détails, l’équipage grec connaît les grandes lignes de l’opération. Les marins
sont admiratifs devant le commando, l’atmosphère est immédiatement cordiale.
Pendant trois nuits et
trois jours, le commandant et ses hommes font tout ce qui est en leur pouvoir
pour rendre agréable la traversée à leurs hôtes. Les premières réactions de
claustrophobie sont vite surmontées. Chaque nuit le Triton fait surface
quelques instants ; les six hommes en profitent pour aller respirer et
fumer sur le pont.
Dans la matinée du 9
juin, le submersible s’approche de l’île de Crète, au large du cap Spatha. Un
convoi ennemi fait route vers eux. Au périscope, le commandant l’a aperçu
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