Qui ose vaincra
prendrais une telle importance.
C’est prématuré d’en
rêver, coupe Bergé. Pour l’instant, pensez à votre mission. Quand vous l’aurez
menée à bien, vous aurez toute votre vie pour raconter vos campagnes et
épiloguer sur le rôle essentiel que vous avez joué pendant cette guerre. Vous
aurez tout loisir d’emmerder vos enfants, vos petits-enfants et vos
arrière-petits-enfants avec vos radotages sur l’aérodrome d’Heraklion. En
attendant, il faut y aller. Départ dans cinq minutes. Préparez-vous ! »
Léostic s’est levé, il
semble tourmenté :
« Mon capitaine, j’ai
encore une chose à vous dire, je pense que c’est très important. »
L’attitude grave du
jeune Breton intrigue Bergé et ses compagnons.
« Quoi encore ?
Vide ton sac et qu’on en finisse.
— Mon capitaine, je
vous ai menti.
— C’est l’heure des
aveux, décidément. Vas-y, je t’écoute, mais sois bref.
— En m’engageant, j’ai
menti sur mon âge. »
Bergé hausse les épaules.
« Tu t’es rajeuni
par coquetterie, comme une vieille poule ?
— Non, mon
capitaine, je me suis vieilli. On m’avait dit que vous ne m’accepteriez pas si
je n’avais pas dix-huit ans. »
Bergé le toise, sévère.
« Tu ne les avais pas ?
— À vrai dire, mon
capitaine, je ne les ai toujours pas.
— Quel âge as-tu, Léostic ?
Et ne triche pas.
— Dix-sept ans, mon
capitaine… Enfin, je vais les avoir bientôt.
— Nom de Dieu !
Bougre de salopard ! Un gosse ! J’ai embarqué un gosse dans ce merdier ! »
Jellicœ apaise Bergé.
« Calmez-vous, mon
vieux, ça n’est pas le moment »
Ça fait près de deux ans
qu’il vous mystifie, ce sont ses capacités qui importent, pas son âge… »
Ils marchent toute la
nuit. Chaque pas représente une nouvelle douleur. Leurs épaules sont meurtries,
leur nuque brisée par le poids qu’ils transportent. Ils avancent tête baissée, cherchent
à deviner le sol dans l’obscurité, montent, descendent sur un terrain inégal. La
sécheresse de l’air brûle leur gorge ; leur provision d’eau s’épuise
dangereusement.
Avant le lever du jour, ils
s’affalent dans un bois accroché à flanc de rocher. Si la navigation de Bergé a
été exacte, l’aérodrome d’Héraklion doit se trouver dans la vallée, derrière un
dernier sommet à franchir. Léostic prend le premier tour de garde, les autres s’endorment.
La chaleur les réveille.
L’ombre elle-même est brûlante. Il n’y a pas un souffle d’air, ils n’ont
presque plus d’eau.
« Il faut trouver
de l’eau, décide Bergé. Deux d’entre vous vont laisser leur sac et partir à la
recherche d’un puits. »
Sibard et Mouhot se
désignent et quittent leurs compagnons.
Ils ne reviennent que
vers 21 heures. Toute la journée ils ont erré avant de découvrir un point d’eau
tout proche, et ils ont retrouvé leurs compagnons à bout de forces, les lèvres
gonflées, le palais desséché. Désaltérés, tous reprennent la harassante marche
de nuit.
À 2 heures moins 5, Bergé
stoppe brusquement la colonne. Immobile, attentif, il a perçu un lourd bourdonnement
qui croît, lancinant. Il chuchote :
« Tous à couvert !
Ça doit être la R.A.F. »
Ils ne pensaient pas
être si proches de leur but. Les sirènes déchirent leurs oreilles, des fusées
éclairantes illuminent le camp d’aviation allemand qui ne se trouve qu’à
quelques centaines de mètres en contrebas. Ils jubilent. Ils sont tombés pile, et
le maquis haut et touffu qui les entoure va leur permettre de se dissimuler
pendant la journée.
À la lueur des fusées
éclairantes, ils constatent l’inefficacité du bombardement anglais. Les
appareils de la Luftwaffe qu’ils distinguent sont parqués à grande distance les
uns des autres, les bombes tombent au hasard. Pas une n’atteint même la piste.
Leur mission leur
apparaît d’autant plus importante. Et infiniment dangereuse.
10
Durant toute la journée
du 13 juin, les cinq parachutistes restent terrés comme des bêtes au gîte, observant
le va-et-vient des Allemands, choisissant le chemin qu’ils emprunteront la nuit
tombée.
À 9 heures du soir, ils
se mettent en route.
À 11 heures, ils ont
enfin dévalé la dernière pente. Ils reprennent leur souffle, tapis dans le
creux d’un fossé. Haletants, poignard au poing, ils attendent le passage d’une
patrouille allemande qu’ils viennent de repérer.
Les bottes des
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